N°545

William Saroyan

Papa, tu es fou

Papa You’re Crazy

Traduit de l’anglais par Danièle Clément

1957, Zulma 2015, Zulma Poche 2021

142 pages

Zulma - une semaine, un livre (eklablog.com)

Un homme, écrivain, décide d’écrire un roman pour les dix ans de son fils. Ce livre racontera les quelques mois qu’un garçon de dix ans passe avec son père.

Dans l’introduction, William Saroyan s’adresse à son fils. Il lui dit : J’ai décidé d’écrire ce livre parce qu’en 1953, quand tu avais dix ans, tu me l’as demandé et parce qu’en 1918, quand j’avais moi-même dix ans, je n’avais pas assez de métier pour dire ce que je voulais dire. Et voici qu'enfin, je l'ai écrit – ou plutôt tu l'as écrit. Je n'avais rien de plus à faire que de me rappeler mes dix ans ; observer les tiens, et mettre les deux ensemble en y ajoutant mes quarante-cinq ans. Sur cette base, l’auteur passe la parole à l’enfant. Papa, tu es fou, est raconté à la première personne du singulier : c’est l’enfant qui parle.

Ses parents sont séparés, son père est un écrivain sans le sou qui vit dans une maison sur la plage de Malibu, au jour le jour, entre longues promenades au bord de l’eau à ramasser des coquillages, des pierres, ou des moules pour le diner, et échappées dans la vieille Ford sur les routes de Californie, tout en distillant ses réflexions sur la vie et le métier d’écrivain. L’enfant voue une admiration sans limite à son père tout en réfléchissant au bien-fondé de ses décisions et à la valeur de sa vision du monde pour le moins idéaliste et originale.

Papa, tu es fou est un texte d’une grande fraîcheur. Rien ne le date. Sa vivacité surprenante l’apparente plus à une écriture contemporaine qu’à celle des années cinquante. Les réflexions sur l’écriture sont tout à fait actuelles. La relation entre le père et sont fils, sujet intemporel, est belle, profonde, et tellement réelle qu’on ne peut penser que l’auteur n’a lui-même pas connu son père. Papa, tu es fou est une lecture facile, souriante et touchante.

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William Saroyan est né en 1908 à Fresno en Californie et mort dans cette ville en 1981. Ses parents sont des émigrés arméniens. À l’âge de 4 ans, il perd son père et est placé dans un orphelinat. Il retrouve sa mère quelques années plus tard. Il quitte l’école à 15 ans, mais décide de devenir écrivain. Tout en travaillant, il publie quelques nouvelles sous le nom de Sirak Goryan dans un journal arménien. Son recueil de nouvelles, Mon nom est Aram, publié en 1940, connait un grand succès. Il a écrit 45 livres.

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Extrait :

« Tu n'écris pas vraiment un livre de cuisine, n'est-ce pas, Papa ?

Il fallait que je repose cette question parce que je pensais à cette anémone en train de manger la moule, et à tout ce qui vit toujours en train de manger quelque chose d'autre.

« Bien sûr que je l'écris.

– Comment faire du hachis ?

– Pas seulement cela, mais cela aussi.

– Et quoi d'autre ?

– Comment faire l'âme, par exemple.

– Tu veux dire la soupe[1], n'est-ce pas ? Ha, ha, ha !

– Ce n'est peut-être pas une blague du tout. C'est peut-être plus près de la vérité que tu ne crois. Il faut des siècles pour qu'un peuple crée une soupe vraiment remarquable, comme ont fait les Chinois, par exemple.

– Et les Américains ?

– Ils y travaillent. Et j'y travaille avec eux, et toi aussi.

– Les Américains n'ont pas en ce moment une soupe remarquable ?

– Âme, pas soupe. Et non, la réponse est non.

– J'espère que tu vas écrire un remarquable livre de cuisine.

– Merci. Et ton roman ?

– Il ne sera pas remarquable, Papa.

– Pourquoi pas ?

– Eh bien, je me rappelle tout ce que je vais dire jusqu'au moment où c'est le moment de l'écrire et alors là, j'oublie.

– Très bien ! » a dit mon père.

Il est descendu du rocher en courant, et moi j'ai couru derrière lui.

[1] Jeu de mot entre « soup », la soupe, et « soul », l’âme.