• La Fin de l'homme rouge

    2024-18

    La Fin de l'homme rougeSvetlana ALEXIEVITCH

    La Fin de l’homme rouge

    ou le temps du désenchantement

    suivi de

    À propos d’une bataille perdue.

    ALEXIEVITCH, Svetlana, la Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement (2013), suivi de À propos d’une bataille perdue (2015). Traduit du russe par Sophie Benech. Arles. Actes Sud, Babel. 2022. 675 pages.

    Le livre de Svetlana Alexievitch (1948-) veut rendre compte de la façon dont l’homo sovieticus a vécu l’effondrement, fin 1991, de l’URSS et ressent sa transformation en Fédération de Russie, avec sa Communauté des États Indépendants, tout en rapportant la vie que, depuis, les gens mènent, cela à travers le témoignage de personnes rencontrées ou la citation d’articles de journaux. La reprise de son discours lors de sa réception du prix Nobel de la Littérature clôt le recueil.
    L’auteur a organisé son livre en deux parties très distinctes. Elle intitule la première « la Consolation par l’Apocalypse » qu’elle déroule en « Dix histoires dans un intérieur rouge », tandis que la seconde « la Fascination du vide » conte « Dix histoires de nulle part », le texte de chacune étant présenté comme « tiré des bruits de la rue et des conversations de cuisine » entre 1991 et 2001 d’abord – soit les années Eltsine –, puis 2002 et 2012 – soit le début des années Poutine. La première partie est davantage centrée sur le passage d’un monde à l’autre et donne majoritairement la parole à des gens qui, bien qu’ayant connu la faim, les conditions de vie précaires, la guerre, la peur, la méfiance, les disparitions, les emprisonnements, les tortures, font le constat que la perestroïka, la reconstruction voulue par Gorbatchev (1984), a abouti à un monde sans idéal, sans lieu « où blottir son âme » : le matérialisme du marché. La seconde partie touche davantage au quotidien des gens, en intégrant leurs rêves, leurs déceptions, leur parcours fait de souffrances plus que de plaisirs. Elle souligne en particulier la discrimination, subie par les membres de la Fédération issus des ethnies périphériques et venus se réfugier à Moscou pour cause de guerre ou pour vivre un amour stigmatisé dans leur pays, qui a émergé et s’exprime avec cruauté et sauvagerie depuis que le ciment soviétique n’existe plus.

    La méthode de l’auteur est documentaire : « J’écris, je ramasse brin par brin, miette par miette, l’histoire du socialisme « domestique » … « intérieur ». La façon dont il vivait dans l’âme des gens.» (p. 18) et aboutit à un livre fragmentaire, fait de collages d’histoires, sans que nous ayons aucune indication sur le critère du choix pour l’ordre de succession. La narration est souvent interrompue par une remarque de l’auteur ou par l‘intervention d’une tierce personne dans le récit principal. Il y a bien sûr des histoires bouleversantes, et on en sort chaviré par un monde d’une férocité, d’un sadisme inimaginable, mais cette accumulation de tranches de vie est fastidieuse. Dans son discours, paraphrasant « l’homme-plume » de Flaubert, S. Alexievitch se dit « femme-oreille », mais l’alchimie qui donne une œuvre littéraire fait totalement défaut à sa transcription de témoignages. Cela permet de mesurer combien l’attribution du prix Nobel de littérature, décerné par un Occident prétendument vertueux, n’est souvent qu’un choix idéologique.

     

    Citations

     

    « On voulait bâtir le royaume de Dieu sur terre (…) L’avenir… Il devait être magnifique…Il allait être magnifique plus tard…J’y croyais ! (Il crie presque.) On y croyait à une vie magnifique ! C’était une utopie… Vous, vous avez votre utopie vous. Le marché. Le paradis du marché. Le marché va rendre tout le monde heureux… (…) Les magasins sont remplis de saucissons, mais il n’y pas de gens heureux. Je ne vois personne avec une flamme dans les yeux. » p. 243 à 253.Vassili Pétrovitch N., membre du Parti communiste depuis 1922. 87 ans.

     

    « Ici aussi, nous vivons comme à la guerre… Nous sommes partout des étrangers. (…) J’ai lavé par terre dans le métro, j’ai nettoyé des toilettes. J’ai trimbalé des briques et des sacs de ciment sur des chantiers. En ce moment, je suis femme de ménage dans un restaurant. Albufaz fait des travaux de rénovation dans des appartements de riches. Les gens corrects le paient, les autres non. « Dégage, espèce de métèque, sinon je vais appeler la milice ! » Nous n’avons pas de permis de séjour…Nous n’avons aucun droit… (…) Nous ne sortons jamais le soir. (…) Ici, on a tué un jeune Arménien, là-bas, c’est une petite Tadjik qui s’est fait égorger… un Azerbaïdjanais a reçu un coup de couteau. Avant, nous étions tous des Soviétiques, mais maintenant, nous avons une nouvelle nationalité, nous sommes des ‘individus de nationalité caucasienne’. » p. 444-445. Margarita K., réfugiée arménienne.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :