• Le Monde libre

    2023-47

    Le Monde libreAude Lancelin

    Le Monde libre

    Une plongée sans précédent dans la servitude des médias.

    (Les Liens qui Libèrent, 2016).

    J'ai lu, 2017

    252 pages.

    Dans ce livre, Prix Renaudot de l'essai 2016, Aude Lancelin (1973-) retrace son expérience de journaliste et décrit la « dérive du système médiatique français ». Entrée au Nouvel Observateur en 2000 (culture, critique littéraire), elle deviendra directrice adjointe de Marianne en 2011, avant de retrouver, dans la même fonction, l'Obs de 2014 à 2017.

    L'auteur fait l'historique du journal qu'elle baptise l'Obsolète, présente fondateurs, actionnaires, directeurs ou journalistes, dont elle brosse des portraits au vitriol, sous des pseudonymes facilement identifiables – tel Jean Noël pour Jean Daniel – réservant l'appellation l'Ogre à son principal actionnaire, Xavier Niel, « le roi du porno », ne conservant leurs noms véritables qu'aux personnes estimables. Malgré les « séances de tabassage idéologique » (54), elle exécute les soi-disant « nouveaux philosophes », dénonce le soutien de Finkelkraut à Oriana Fallaci qui au sujet de l'immigration maghrébine utilisa l'expression « prolifération des rats », ou encore dévoile, en 2010, la niaiserie du pauvre BHL, qui ayant pris pour argent comptant le livre de Botul – Frédéric Pagès du Canard enchaîné – avait cité avec le sérieux du penseur profond des passages de La Vie sexuelle de Kant, ce qui n'empêchera pas ce lamentable philosophe de continuer à pérorer sur la scène médiatique.

    Elle analyse « la trahison historique du PS », le règne de la double pensée qui depuis Mitterrand a vidé de toute substance l'adjectif socialiste, retenant en particulier deux dates : 2005 et la Constitution européenne soutenue par le PS et adoptée malgré le rejet du peuple ; 2016 et la loi Travail, baptisée sans aucune volonté comique « Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels », adoptée – déjà ! – grâce au 49.3. Parallèlement, l'Obsolète, qui n'a plus de gauche que son style hésitant, licencie Aude Lancelin, à la demande de l'Ogre, sous la pression de l'Élysée, pour avoir donné la parole au mouvement Nuit Debout.

    Aude Lancelin, avec un grand talent de pamphlétaire, fait ici le procès d'un hebdomadaire issu de la gauche, une gauche soumise au CAC40. Avec l'emprise de Bolloré sur l'audiovisuel, on peut se demander ce que va devenir la liberté d'expression dans les media qui tend à être remplacée par un consensus mou, parfois perturbé par un mauvais coucheur tel notre auteur.

    Citations

    « Très tôt il avait été attiré par la philosophie, mais celle-ci s'était toujours inflexiblement refusée à ses avances (…). » p. 20 (il=Jean Noël)

    « L'un de ces rescapés de l'antitotalitarisme mondain, appelé Bernard-Henri Levy, faisait en l'occurrence régner à Paris une véritable terreur durant toutes ces années-là (…), en enfant gâté qu'il n'avait cessé d'être et qui à bientôt soixante ans, prenait encore Paris pour son parc à jouets. » p.55

    « Certains pensent que « ceux qui n’ont rien » ne comprennent pas ce qui se passe au-dessus de leur tête, et ne sont nullement armés face aux flux d’opinion qui, leur étant infligés à haute dose, décident malgré eux de leurs opinions. C’est en grande partie faux, ils sont surtout isolés, persuadés d’être seuls à penser comme ils pensent, et donc aux prises avec la résignation, tentés de retourner à leurs affaires, persuadés que le combat collectif est vain. Abreuvés de rasades entières de mensonges, de communication politique, de matraquage sponsorisé dont ils ne savent que faire, sans la moindre main tendue dans les médias officiels pour ne pas s’y noyer, ils sont en proie à un sentiment d’immense découragement, d’écrasement. (…) C’est ainsi que cinquante ans de luttes sociales peuvent se trouver arasés en un été, la machine médiatique étant là en appoint pour administrer une immense péridurale au pays, à base de boucles de langage vidées de leur sens, et autres sagas grotesques héroïsant une fonction présidentielle en réalité dépassée, tandis que la tristesse collective reste, elle, informulée. » p. 251-252


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