N°533

Giulia Caminito

Un jour viendra

Un giorno verrà

Traduit de l’italien par Laura Brignon

2019, Éditions Gallmeister 2021, Gallmeister Totem 2022

279 pages

Gallmeister - une semaine, un livre (eklablog.com)

Le père est faible et désabusé, la mère est souffrante, le grand frère se fera tuer par erreur par un voisin, la grande sœur est au couvent, l’autre sœur est malade, reste les deux frères qui sont inséparables. L’un est un rebelle qui aime la vie sauvage, l’autre est timide, intellectuel et introverti.

L’histoire se passe dans un village de campagne, dans les Marches, région centrale de l’Italie dont la capitale est Ancône, au tout début du XX^e siècle. La pauvreté et l’instabilité politique règnent sur l’Italie encore nouvelle. De nombreux mouvements protestataires, voire révolutionnaires voient le jour, comme le mouvement anarchiste à la suite du célèbre Errico Malatesta. Puis arrive la Première Guerre mondiale et les malheurs qui en découlent, suivie par l’épidémie de grippe espagnole de 1918-19 qui fait également de nombreuses victimes. Le roman de Giulia Caminito se situe dans ce contexte de pauvreté et de violence. À travers les destins de deux frères et de leur sœur ainée enfermée au couvent, l’auteure peint la fresque d’une époque tout en s’intéressant à des destins individuels forts et originaux. Les deux frères, qui passent de l’enfance à l’âge adulte au cours du récit, sont de très beaux personnages romanesques. Leur relation fusionnelle est aussi puissante que leurs différences sont nombreuses. Mais sont-ils vraiment frères ?

Giulia Caminito, autrice singulière, écrit dans un style fougueux, rapide, parfois rugueux. Elle passe volontiers d’une époque à l’autre, revient sur les origines de cette famille compliquée, repart sur les histoires personnelles mouvementées des frères, s’intéresse aussi à divers personnages secondaires comme l’abbesse du couvent. Elle s’attache plus à ses personnages qu’à la description du mouvement anarchiste italien, tout en en faisant une toile de fond passionnante. Ses deux personnages principaux sont les deux faces de sa quête comme elle l’explique elle-même dans une note en fin de volume. L’un est le symbole de la protestation et de la rébellion, le personnage « historique », l’autre est celui de la réflexion et la difficulté de vivre, personnage plus personnel.

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Giulia Caminito est née en 1988 à Rome. Après des études en philosophie politique, elle se lance dans l’écriture et publie un premier roman, récompensé de plusieurs prix, en 2016, puis un recueil de nouvelles en 2017. Elle a publié trois romans dont deux ont été traduits en français et publiés chez Gallmeister.

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Extraits :

Quand il braqua son fusil sur son frère Lupo, Nicola pensa qu'il avait une promesse à tenir.

Lupo et son regard de corbeau, inébranlable, défiait sa volonté. Il ne bougerait pas.

Nicola regarda son grand frère et vit tout ce que Lupo avait été et ne serait plus, il vit sa vie s'écouler, ruisselet d'eau douce, il vit un garçon au nom d'animal sauvage, le blasphémateur, le séditieux.

Avant de tirer, provoquant l'envol des oiseaux du sous-bois, Nicola dit : excuse-moi.

Fais pas cette tête, c'est comme tuer un lapin, répondit Lupo.

La Grande Guerre était arrivée jusque-là, dans les collines au-dessus des murs fortifiés, à travers les tours et les portes, le long des vignes, des oliviers, elle avait fauché les céréales et les vers à soie, enfilé des uniformes aux jeunes hommes, envoyé les femmes au travail, il n'était resté que des enfants, des invalides, des prêtres et des religieuses pour garder Serra de’ Conti, les eaux du Misa, le chemin de poussière menant au cimetière, les champs qui depuis l'époque des états pontificaux ne leur appartenaient plus.

Le bourg des indigents, des métayers, des cordonniers et des ouvriers agricoles, tous partis à la guerre.

Nicola n'avait jamais tué de lapin, il tira quand même.