• Paradis

    N°549Paradis

    Abdulrazak Gurnah

    Paradis

    Paradise

    Traduit de l’anglais par Anne-Cécile Padoux

    1994, Denoël 1995, folio 2021

    321 pages

    Denoël - une semaine, un livre (eklablog.com)

    folio - une semaine, un livre (eklablog.com)

    À douze ans, le jeune Yusuf doit partir avec son oncle commerçant. Il comprend vite que l’homme n’est pas son oncle et qu’il a été vendu pour couvrir les dettes que son père avait contractées auprès de cet homme. Il commence à travailler dans une boutique qui est tenue par un jeune homme, Khalil, qui a connu le même sort que lui.

    Paradis raconte l’histoire de ce garçon jusqu’à ce qu’il atteigne ses vingt ans et commence sa vie d’adulte en échappant brutalement au carcan dans lequel il était tombé. Abdulrazak Gurnah y décrit les voyages commerciaux à travers l’Afrique de l’Est – à qualifier plutôt d’expéditions tant les dangers de tous ordres étaient nombreux – ainsi que les relations entre cet "oncle" et les gens qui travaillaient pour lui. Il s’attache à cette figure de "l’oncle", un personnage paternaliste, manipulateur et sans état d’âme mais qui apporte en même temps sécurité et réconfort. Le jeune homme n’est jamais maltraité même si les conditions sont souvent difficiles. L’auteur a bien connu ce milieu, puisque son père et son oncle étaient commerçants à Zanzibar. Le second sujet de Paradis est bien sûr la colonisation. Là, pas de demi-mesure, les colons allemands sont dépeints comme des brutes sanguinaires ne s’intéressant qu’au maintien de l’ordre et à l’exploitation des ressources du pays.

    Ce roman est écrit de façon classique, suivant une narration chronologique. Les évènements et péripéties se succèdent, en alternance avec les moments de réflexion sur l’état des choses du point de vue du garçon. Paradis est un livre aux accents parfois romantiques, parfois sociologiques, intéressant sur l’histoire et la perception des mouvements humains dans cette partie de l’Afrique peu connue dans le monde francophone – la Tanzanie et le Kenya ayant été colonisés d’abord par les Omanais, puis par les Allemands et finalement par les Anglais.

    . . . . .

    ParadisAbdulrazak Gurnah est né en 1948 à Zanzibar. Sa famille est originaire du Yémen. En 1964, il quitte l’île au moment de la révolution qui met fin à la domination de l’élite arabophone pour mettre en place un régime d’inspiration marxiste-léniniste. Il fait ses études à la London University puis part comme enseignant au Nigeria pour revenir passer un doctorat à l’université du Kent où il devient professeur au département d’anglais. Il s’intéresse en particulier à des auteurs comme Salman Rushdie, V.S. Naipaul, Anthony Burgess ou Joseph Conrad. Il a écrit onze livres. Il reçoit le Prix Nobel de littérature en 2021.

    . . . . . .

    Extrait :

    Ils restèrent silencieux quelques minutes. Yusuf sentait que sa vie se dévidait entre ses doigts, sans qu’il oppose de résistance. Il se leva, s'éloigna et resta à l'écart un long moment ; il se reprochait de n'avoir pas assez gardé le souvenir de ses parents. S'ils étaient encore en vie, pensaient-ils toujours à lui ? Il savait qu'il préférait ne pas le savoir. D'autres souvenirs, d'autres images de sa servitude l'envahirent, qui témoignaient de son apathie. Les événements avaient décidé de sa vie ; il avait gardé la tête hors de l'eau, les yeux fixés sur l'horizon le plus proche, préférant ignorer plutôt que savoir ce qui l'attendait. Il ne voyait rien qui pût le libérer de sa condition d'esclave.

    «  D'abord il n'est pas ton oncle »… II pensa à Khalil, et ne put s'empêcher de sourire malgré ses idées noires. S'il ne perdait pas courage, voilà ce qu'il deviendrait : un autre Khalil, nerveux et combatif, encerclé de tous les côtés et dépendant ; échoué au milieu de nulle part. Il se souvint de ses continuelles plaisanteries avec les clients, de son exubérance qui, il le savait, dissimulait des blessures profondes. Comme Kalinsinga, comme eux tous, immobilisés dans quelque endroit nauséabond, éperdus de nostalgie et consolés par des visions de leur intégrité perdue.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :