• Perspective(s)

    N°550Perspective(s)

    Laurent Binet

    Perspective(s)

    Grasset 2023

    292 pages

    Grasset - une semaine, un livre (eklablog.com)

    Le grand peintre florentin Pontormo est retrouvé mort, assassiné, au pied d’une grande fresque qu’il était en train de réaliser dans une chapelle. Le peintre, architecte et chroniqueur Giorgio Vasari, est chargé par Cosimo de Médicis, duc de Florence, de mener l’enquête pour trouver le coupable.

    Perspective(s) est donc un roman policier qui se passe à Florence au milieu du XVIe siècle. On y retrouve toutes les figures artistiques et politiques de l’époque : Michel-Ange alors résidant à Rome, Bronzino et Cellini ; Éléonore de Tolède, épouse de Cosimo, Catherine de Médicis, reine de France, Piero Strozzi, maréchal de France et grand rival de Cosimo, et le pape Paul IV. Le récit permet de faire de nombreux apartés sur les tensions politiques qui parcourent l’Europe de la Renaissance, d’aborder les différents courants philosophiques et religieux, de décrire le rôle des artistes, mais aussi d’entrer dans les secrets des cours et des couvents de Florence. Cependant le cœur du roman est bien la peinture de la renaissance : quel est son rôle, comment se situe-t-elle par rapport à la religion et au pouvoir politique. Pontormo ou Bronzino, et plus encore Michel-Ange, sont vus comme des monstres sacrés pouvant échapper à la censure liée à la morale du temps, dialoguant avec les plus grands comme le Duc ou le Pape, défendant des idées progressistes et ouvertes, mais soumis au bon vouloir de leurs mécènes.

    L’originalité de ce livre réside dans son scénario. Dans la préface de quelques pages, signée B., l’auteur-narrateur indique qu’il a trouvé chez un antiquaire à Arezzo un ensemble de vieilles lettres jaunies qu’il a payées fort cher. Lettres qu’il a lues et traduites et qu’il nous livre sans autre commentaire. Le livre est donc une suite de lettres entre les personnages. Chaque lettre apporte un élément de compréhension, oriente vers une piste ou en éloigne, pour arriver vers la solution tout en ménageant un suspens permanent. Le procédé est artificiel, mais il fonctionne très bien. Perspective(s) se lit facilement malgré la complexité de l’époque et le sujet qui n’est pas familier. On sent que Laurent Binet s’est bien amusé à écrire ce livre. Il a fait également un énorme travail de documentation, car il s’agit d’un fait réel, qui rend ce livre convaincant et intéressant.

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    Perspective(s)Laurent Binet est né en 1972 à Paris. Après des études de lettres, il obtient une agrégation en 2004 et enseigne dans un lycée de Seine-Saint-Denis pendant 10 ans. Il est aussi chargé de cours à Paris VIII, Paris II et Paris VII, ainsi que chanteur-compositeur du groupe Stalingrad. Son livre HHhH obtient le prix Goncourt du premier roman en 2010. Il a écrit sept livres. Les cinq derniers ont été publiés chez Grasset.

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    Extrait :

    2. Giorgio Vasari à Michel-Ange Buonarotti

    Florence 2 janvier 1557

    Cette fois, mon cher Maître, je ne vous écris pas à la demande du Duc pour vous supplier de revenir à Florence. Hélas, c'est un tout autre sujet qui m'amène à troubler vos journées romaines, dont je sais combien elles sont occupées par vos admirables travaux et par les nombreuses contrariétés auxquelles votre art se confronte quotidiennement, surtout depuis l'élection de notre nouveau souverain pontife, qui semble si peu enclin à apprécier les beautés antiques ou modernes, au contraire de ses prédécesseurs.

    Vous souvenez-vous lorsque, il y a quinze ans, je vous consultais en tout ? Vous aviez alors la bonté de me dispenser vos conseils, et c'est ainsi que je m'étais livré de nouveau, et avec plus de méthode et de fruit, à l'étude de l'architecture, ce que je n'aurais probablement jamais fait sans vous. C'est encore de méthode que j'ai besoin aujourd'hui, mais dans un domaine tout différent. Le Duc en effet a bien voulu m’honorer de sa confiance en me chargeant d'une mission aussi délicate qu’habituelle.

    Jacopo da Pontormo, dont vous vantiez déjà le grand talent lorsqu'il n'était qu'un enfant plein de promesses, n'est plus. Il a été retrouvé mort dans la chapelle San Lorenzo, au pied de ces fameuses fresques qu'il avait jusque-là soustraites aux regards derrière des palissades de bois. Cette nouvelle en elle-même m'aurait décidé à vous écrire, car il fallait bien que quelqu'un vous apprenne ce terrible malheur. Mais ce sont les circonstances de sa mort qui justifient pleinement que je me tourne vers vous, une fois de plus.

    En effet, dans la mesure où son corps a été retrouvé avec un ciseau fiché dans le cœur, juste en dessous du sternum, la thèse de l'accident nous a semblé d'emblée difficile à soutenir. C'est pourquoi le Duc m'a confié la charge d'éclaircir cette malheureuse histoire, d'autant plus que les zones d'ombre ne manquent pas, comme je vous laisse le soin d'en juger par vous-même : le corps de Jacopo, outre le ciseau qui l'a tué, portait les traces d'un violent coup à la tête, asséné par un marteau qu’on a retrouvé sur le sol de la chapelle, au milieu de ses autres outils.


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