• Mil neuf cent quatre-vingt-quatre

    2024-4

    Mil neuf cent quatre-vingt-quatreGeorge ORWELL

    Mil neuf cent quatre-vingt-quatre

    (1949).

    Traduit, présenté et annoté par Philippe Jaworski.

    Gallimard La Pléiade 2020. 1599 pages.

    Texte p. 963-1249. Notice et notes 1490-1552.

    Orwell (1903-1950) conçut le projet de son livre dès 1943. Il en donna une première version en 1946, qu’il ne cessa de réviser tout en luttant contre la tuberculose. Malgré les hospitalisations répétées d’Orwell, le livre sortit en juin 1949 à Londres. L’auteur mourut en janvier de l’année suivante. Amélie Audiberti en donna une première traduction pour Gallimard, la même année. C’est donc l’ultime livre d’Orwell, sorte de testament développant ses convictions sur les oligarchies totalitaires.

    Le livre se développe en trois parties – les trois actes d’une tragédie – suivies d’un Appendice. La première partie pose la cadre et le fonctionnement de l’Océanie, un des trois empires du monde toujours en guerre contre un autre, dont la société, Socang, est divisée en trois classes : le Parti Intérieur, le Parti Extérieur et les prolétos (n.1), sous la coupe du Grand Frère. Orwell présente les protagonistes: Winston Smith, 39 ans, à la toux matinale douloureuse et irrépressible comme celle d’Orwell, membre du Parti Extérieur, fonctionnaire au Ministère de la Vérité – un des quatre ministère existant au côté de ceux de la Paix, de l’Amour et de l’Abondance – chargé de rectifier les documents; Paula, belle jeune-fille de 26 ans à la recherche du plaisir; les Parsons, famille occupant l’appartement voisin; O’Brien du Parti Intérieur avec lequel Winston pense avoir une affinité dans la déviance; et enfin, Syme, philologue du même ministère, passionné de poésie. Winston, ayant eu entre les mains la preuve de la falsification du passé, a entrepris d’écrire un journal pour l’Avenir – notion chère à Orwell –, tout en veillant à ne pas être dans le champ du télé-écran installé dans chaque appartement ; il inscrit de façon compulsive sur la première page « Mort au Grand Frère ». La seconde partie est celle où se noue le drame. Wilson, ayant compris que « si on respectait les règles mineures, on pouvait enfreindre les plus importantes » (1080), accomplit tous les matins la gymn sur les directives de la voix qui prend possession de son appartement à 7h30 et se compose le visage convenable pour les deux minutes quotidiennes de haine contre Emmanuel Golstein, l'éternel ennemi, mais loue une chambre chez un brocanteur du quartier des prolétos, car « les prolétos et les animaux sont libres » (1029). Il entame une liaison amoureuse avec Julia, à l’opposé de la frustration sexuelle de rigueur et se console de la disparition de Syme, qui a été « évaporé », grâce au rapprochement avec O’Brien qui l’a contacté et lui remet un exemplaire du Livre de Goldstein, sorte de bible d’un mouvement de résistance appelé La Fraternité. Il découvre le bonheur, les promenades bucoliques, l’épanouissement, tout en sachant que l’issue de tout cela est une mort certaine, pour lui et Julia, les déviants étant toujours pris, rééduqués, puis relâchés avant d’être supprimés.  La dernière partie, la chute, met en scène la descente aux enfers de Winston et Julia : le brocanteur ayant perdu l’accent cockney se révèle être membre de la Police de la pensée et l’instrument d’O’Brien, grand détecteur de déviants. Arrestation, emprisonnement, tortures, les pires pratiquées dans la salle 101 avec O’Brien aux manettes, jusqu’au relâchement, avant l’impact d’une balle dans la nuque. L’Appendice, qui porte en sous-titre « Les Principes du néoparle » ne s’inscrit plus dans « l’utopie en forme de roman », dans « dans le roman satirique du futur » comme Orwell présentait son livre, mais est une analyse du langage et du rapport entre le langage et la pensée, Orwell sachant que la richesse de notre monde dépend de nos moyens de l’exprimer, du rôle du souvenir, du rêve et de la mémoire.

    Le livre d’Orwell est trop riche pour qu’on en relève ici tous les trésors. Ce n’est en rien un roman d’anticipation. Il va bien au-delà de la Ferme des animaux, et même s’il emprunte des matériaux du régime stalinien, cette relecture quelques décennies après la première, nous fait prendre conscience que c’est le roman de la terreur totalitaire, danger qui réside dans tous les systèmes politiques de notre temps. La fortune du livre est considérable, Big Brother est devenue une métaphore très utilisée. Ajoutons qu’il est très bien écrit, Orwell ayant le sens du portrait, du paysage et des formules percutantes, en amoureux et fin connaisseur de la littérature.

    Note1. Nous respectons le texte de Jaworski, et donc « prolétos, néoparle, doublepense », mais tenons à souligner que si les termes choisis par Jaworski sont d’une absolue fidélité, la première traductrice avait préféré au ridicule « proléto » le simple prolo, et aux deux autres qui sonnent très mal, novlangue et double-pensée, largement utilisés depuis.

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    Citations

    « Il y avait un lien direct et intime entre la chasteté et l’orthodoxie politique. Car comment la peur, la haine et la crédulité insane dont le Parti avait besoin auraient-elles pu être maintenues chez ses membres au degré d’intensité voulu, sinon en gardant comme dans un bocal un instinct puissant que l’on faisait ensuite servir de force motrice ? La pulsion sexuelle était un danger pour le Parti et le Parti l’avait détournée à son profit. Il s’était livré à un semblable tour de passe-passe avec l’instinct familial. (…) La famille était bel et bien devenue une extension de la Police de la pensée. p. 1083-1084. (On peut se demander si ces réflexions n’ont pas inspiré WILHEM Reich).

     

    « C’était précisément le but que l’on recherchait : rendre le discours aussi peu tributaire que possible de conscience. » Appendice p.1239.


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