• Leurs enfants après eux

    N°539Leurs enfants après eux

    Nicolas Mathieu

    Leurs enfants après eux

    Actes Sud 2018, Babel 2020

    555 pages

    Actes Sud - Babel - une semaine, un livre (eklablog.com)

    Un adolescent, l’été, au bord d’un lac, s’ennuie en compagnie de son cousin. Il y a bien quelques filles qu’on pourrait aller voir, se disent-ils.

    Leurs enfants après eux est une histoire d’apprentissage qui se déroule sur une période de six ans dans les années 90, dans le nord-est de la France, en zone semi-urbaine. Elle raconte l’évolution du personnage principal, un adolescent pas très bien dans sa peau, qui se cherche, et des quelques autres adolescents et adolescentes qu’il fréquente pour le meilleur ou pour le pire. Le milieu dans lequel ils évoluent n’est pas une zone de banlieue, mais ils s’y ennuient ferme, surtout l’été car il n’y a pas grand-chose à faire, alors ils empruntent la moto du père pour aller à une fête. Bien sûr, rien ne se passe comme prévu.

    Leurs enfants après eux est un roman sentimental sous un aspect de roman « presque » noir. Ce qui intéresse l’auteur c’est bien ce que ressentent ses personnages, leurs doutes, leurs désirs, leurs mensonges et leurs incertitudes face à la vie d’adulte qui s’approche, face à la misère sociale et intellectuelle qui les entoure, face au peu de respect qu’ils ressentent pour leur famille, face à la structure sociale dans laquelle ils sont englués, et au manque de futur qui se dresse devant eux.

    Nicolas Mathieu écrit un texte ambitieux, le portrait d’une génération. Il écrit dans un style classique, très construit et articulé, apportant un soin particulier à la description des environnements naturels et humains dans lesquels évoluent ses personnages. Il construit un récit puissant, lourd comme son sujet, mais il en fait parfois un peu trop, au risque d’être systématique, comme dépassé par sa méthode. Il n’en reste pas moins que Leurs enfants après eux, tout comme Le roman de Jim de Pierric Bailly (une semaine un livre n°538), est un roman qui questionne en profondeur la société moderne.

    . . . . . .

    Leurs enfants après euxNicolas Mathieu est né en 1978 à Épinal, dans les Vosges dans une famille modeste. Il fait des études à l’université de Metz et obtient une maîtrise sur le thème : Terrence Malick : portrait d’un cinéaste en philosophie. Il travaille ensuite comme journaliste et « plume à tout faire » dans le milieu associatif. Il écrit beaucoup, mais ce n’est qu’en 2014 que paraît son premier roman, Aux animaux la guerre, qui obtient plusieurs prix et est adapté à la télévision dans une série homonyme. En 2018, son second roman, Leurs enfants après eux, obtient le prix Goncourt. Il a publié trois romans, tous chez Actes Sud, ainsi que cinq nouvelles, trois albums pour la jeunesse et un recueil de poésie.

    . . . . .

    Extrait :

    Debout sur la berge Anthony regardait droit devant lui.

    À l'aplomb du soleil, les eaux du lac avaient des lourdeurs de pétrole. Par instants, ce velours se froissait au passage d'une carpe ou d'un brochet. Le garçon renifla. L'air était chargé de cette même odeur de vase, de terre plombée de chaleur. Dans son dos déjà large, juillet avait semé des taches de rousseur. Il ne portait rien à part un vieux short de foot et une paire de fausses Ray-Ban. Il faisait une chaleur à crever, mais ça n'expliquait pas tout.

    Anthony venait d'avoir quatorze ans. Au goûter, il s'enfilait toute une baguette avec des Vache qui Rit. La nuit, il lui arrivait parfois d'écrire des chansons, ses écouteurs sur les oreilles. Ses parents étaient des cons. À la rentrée, ce serait la troisième.

    Le cousin, lui, ne s'en faisait pas. Étendu sur sa serviette, la belle achetée au marché de Calvi, l'année où ils étaient partis en colo, il somnolait à demi. Même allongé, il faisait grand. Tout le monde lui donnait facile vingt-deux ou vingt-trois ans. Le cousin jouait d'ailleurs de cette présomption pour aller dans des endroits où il n'aurait pas dû se trouver. Des bars, des boîtes, des filles.

    Anthony tira une clope du paquet glissé dans son short et demanda son avis au cousin, si des fois lui aussi ne trouvait pas qu'on s'emmerdait comme pas permis.

    Le cousin ne broncha pas. Sous sa peau on pouvait suivre le dessin précis des muscles. Par instants, une mouche venait se poser au pli que faisait son aisselle. Sa peau frémissait alors comme celle d'un cheval incommodé par un taon. Anthony aurait bien voulu être comme ça, fin, le buste compartimenté. Chaque soir, il faisait des pompes et des abdos dans sa piaule. Mais ce n'était pas son genre. Il demeurait carré, massif, un steak. Une fois, au bahut, un pion l'avait emmerdé pour une histoire de ballon de foot crevé. Anthony lui avait donné rendez-vous à la sortie. Le pion n'était jamais venu. En plus, les Ray-Ban du cousin étaient des vraies.

     


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