• Les Grands chemins

    2024-46 

    Jean GIONO

    Les Grands chemins

    (1951). Édition établie par Robert Ricatte et Luce Ricatte, Notice et notes de Luce Ricatte. Gallimard, la Pléiade. 1451 pages. Texte : p.467-633, notice et notes : p. 1136-1192).

        L'idée des Grands chemins a été longtemps portée par Giono (1995-1970), puisqu'elle fut le prétexte du voyage de juillet 1939 dans la Haute-Drôme, dont on a récemment retrouvé et publié le manuscrit.

         Le je narrateur – dont nous ne connaîtrons jamais le nom – est un beau blond d'une quarantaine d'années que nous trouvons, en cette saison « tendre » d'automne « aux vergers rouges de pommes » et aux raisins pas encore mûrs, au bord d'une route à attendre la camionnette qui ramasse le lait pour finalement monter dans une « grosse citerne » qui « charrie de l'acide ». Et en avant pour une vie de liberté faite de marches sur des chemins plus ou moins « souples au pied » dans de beaux paysages accueillants ou inhospitaliers, d'imprévus plus ou moins heureux, d'errance, de petits boulots dès qu'il y a trois francs-six sous à gagner, de nuits à se geler les miches dehors, de saouleries parfois suivies de bagarres, de rencontres.
         Et en particulier, la rencontre d'un type à la guitare qui l'invite à se rendre avec lui à une foire et qui, après quelques heures de marche côte à côte, le plante sans état d'âme à la première moto qui s'arrête à la vue de son pouce levé ! Notre beau blond sympathique surnomme vite son compagnon l'Artiste, son art étant moins de gratter la guitare que de faire valser les cartes, en grand connaisseur de la manière dont « on les boulange ». Laid, avec de la bave au coin des lèvres, l'Artiste ne fait pas illusion au narrateur qui sait parfaitement qu’« il ne vaut pas tripette », et n'a « pas de circonstances atténuantes », mais ne peut s'empêcher de penser « il me manque » lorsqu'il disparaît. Il le protège, partage son argent avec lui, le soigne après l'avoir récupéré dans un sale état, suite à une tricherie démasquée ; et il ira très loin dans l'amitié.
         Cette histoire d'amitié entre un brave type et une ordure est assez curieuse. Giono, qui aime se référer à Stendhal et suit son conseil du nombre (de personnages pour rendre la lecture vivante, ndlr) ne tente pas de pénétrer les raisons de cette cristallisation de l'amitié, comme Stendhal le faisait pour « la cristallisation de l'amour ». Le récit est alerte, agréable pour la justesse dans les portraits, la beauté sensible des paysages et le langage savoureux de l'auteur maniant de manière constante et très subtile l'ironie.

    Citations

         « J'ai du vague à l'âme. Comme partout, les routes qui partent d'ici vont partout. Il est impossible de garder quoi que ce soit ni personne. On s'attache, on n'attache pas. » p. 500.

         « Il est difficile d'être au monde tout seul. Il y a des jours où j'y arrive. Ce soir, il me semble que je n'y arriverai jamais plus. »p. 504

         « J'adore être dans les cuisines. J'aime tellement les maisons que c'est là, au cœur même, que je suis le mieux. Rien ne vaut pour moi un petit air de feu si je le prends debout près d'un poêle de cuisine, pendant qu'une grosse femme fricote. » p. 520.

         « Moi je savais qu'ils ne tiraient à la caille que par surcroît. Pas un ne m'a démenti par les faits. Quand on est bel et bien en présence du problème qui consiste à ce qu'on appelle vivre qui est simplement en définitive passer son temps, on s'aperçoit vite qu'on n'arrive pas à le passer sans détourner les choses de leurs sens. Père et mère, femme et enfants, voisins, voisines, si l'on s'en sert comme il se doit, ça mène à peu de chose. Mais si l'on s'en sert comme on ne doit pas, quel miracle ! C'est le cas de le dire : les arbres sont rouges, les truites font leur nid dans les buissons ; les montagnes, obéissant au moindre mot, se mettent en marche. C'est le seul moyen pour ne pas être gros-Jean comme devant.
    Or, tout ça, c'est la vie courante. La morale, tout le monde la fait. Qui la pratique ? Personne, je l'espère bien. En tout cas, je n'en connais pas. Il y a toujours un tournant où je les attends et où je les trouve, ceux qui prétendent le contraire. C'est impossible de marcher dans la morale jusqu'aux genoux. Ils vous disent tous qu'ils ont fait la trace. Mais, essayez. Au premier pas vous enfoncerez jusqu'au ventre. » p. 540-541.

     


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