• Les abeilles grises

    N°531Les abeilles grises

    Andreï Kourkov

    Les abeilles grises

    Серые пчелы

    Traduit du russe par Paul Lequesne

    2018, Éditions Liana Levi 2022, Piccolo 2023

    436 pages

    Liana Levi - une semaine, un livre (eklablog.com)

    Un apiculteur vit seul avec ses ruches dans un village de la zone grise déserté de ses habitants. Il n’a qu’un seul voisin, qui habite l’autre rue du hameau, mais c’est son « ennemi d’enfance ».

    Les abeilles grises se passe en Ukraine et dans les territoires annexés par la Russie. La zone grise se situe entre les deux lignes de front qui séparent l’Ukraine des territoires occupés par les forces pro-russes. Dans le village, pas d’électricité, une église détruite, des obus qui le survolent jour et nuit. Les deux hommes se rendent visite de temps en temps, très méfiants l’un de l’autre. Puis un jour, à l’arrivée du printemps, l’apiculteur décide de partir avec ses six ruches vers des lieux plus propices pour ses abeilles. Son voyage l’emmènera jusqu’en Crimée, chez un collègue tatar. Son voyage sera ponctué de diverses rencontres bonnes et mauvaises.

    À travers les péripéties du voyage de l’apiculteur, Andreï Kourkov propose avec ce road movie, une peinture aigre-douce des zones ukrainiennes auto-proclamées russes avant la guerre et du conflit qui en a découlé. Bien qu’Ukrainien, il ne porte pas de jugement et même si les personnages qui incarnent le pouvoir russe, à la frontière avec la Crimée ou en Crimée, sont caricaturaux, c’est plutôt l’absurdité de la situation qu’il décrit et la permanence de l’humanité qui prévaut en toutes circonstances. L’apiculteur promène son regard doux sur le monde plutôt barbare qui l’entoure, il noue des liens amicaux avec les gens qu’il rencontre, troque son miel contre des pommes de terre et des saucisses, aide les autres quand il peut. Il subit les outrages avec optimisme et résignation. Il traverse l’adversité ingénument grâce à son amour sans ombre pour ses abeilles et à sa simple philosophie de la vie.

    Il en résulte un portrait de la situation dans les zones annexées empreint de tristesse plutôt que de malheur. Les abeilles grises est un livre salutaire, sans excès ni agressivité, qui dépeint la situation ukrainienne de façon poétique et lucide.

    . . . . .

    Les abeilles grisesAndreï Iourievitch Kourkov (Андрей Юрьевич Курков) est né en 1961 à Léningrad mais a vécu toute son enfance à Kiev. Il est de nationalité ukrainienne. Après des études de langues étrangères à l’université, il exerce plusieurs métiers et commence tôt à écrire. Son roman, Le Pingouin, publié en 1996 connait un vif succès. Il a écrit 19 livres mais aussi une trentaine de scénarios de films et de documentaires. Les abeilles grises a reçu le Prix Médicis étranger en 2022.

    . . . . .

    Extraits :

    « Qu'est-ce que tu vois ? demanda Pachka.

    – Ce que je vois ? Un mort. Un soldat. Étendu. À quel côté il appartient, j'en sais foutre rien ! Ça peut être à l'un comme à l'autre.

    –  C'est clair. »

    Pachka opina du chef, et le mouvement de sa tête, perdu à l'intérieur du haut col relevé de la pelisse, inspira un sourire à Sergueïtch.

    « Qu'est-ce que t'as ? demande Pachka, soupçonneux.

    – Ben, t'es comme une cloche à l'envers, avec ton col. Ta tête est minuscule au milieu d'un tel luxe.

    – Elle est comme elle est, grogna Pachka. Et puis c'est plus compliqué pour une balle de toucher une petite tête, alors qu'une grosse comme la tienne, à un kilomètre, on peut pas la rater. »

    Ils traversèrent ensemble la cour-jardin-potager jusqu'au portillon donnant sur la rue Lénine. En silence, sans se regarder. Là, Sergueïtch demanda à Pachka de lui laisser les jumelles pour deux ou trois jours. L'autre accepta. Puis s'en fut vers le passage Mitchourine sans se retourner.

    . . . . .

    Le soir rattrapa Sergueïtch à la sortie de Melitopol. Il croisa une colonne de véhicules militaires roulant à petite allure : deux BTR et un tank sur une remorque, suivis de deux Oural et d'un petit UAZ vert. Ils revenaient de la guerre, Sergueïtch le devina aux visages des conducteurs. Lui-même n'allait pas à la guerre, mais chez lui. Ce n'était pas sa faute si sa maison était actuellement située sur la ligne de front. Sa maison était au front, mais lui n'était pas mêlé aux combats. De sa cour, de ses fenêtres, de sa palissade, personne ne tirait sur l'ennemi, et par conséquent il ne pouvait se trouver d'ennemi près de chez lui. Sans doute était-ce pourquoi sa maison était encore debout, intacte, épargnée par les éclats des bombes et des obus qui plusieurs fois étaient tombés sur Mala Starogradivka au cours des trois dernières années.

    « Il faut que je fasse des provisions avant d'arriver au poste de contrôle », songea-t-il.


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