• Le Désert des Déserts

    2024-39

    Le Désert des DésertsWilfred THESIGER

    Le Désert des Déserts

    Avec les Bédouins, derniers nomades de l’Arabie du Sud

    Sea of Sand (1956).

    Traduction de Michèle Bouchet-Forner (Plon 1978).

    Pocket, Terre humaine Poche.1999.

    464 pages.

    Wilfred Thesiger (1910-2003) est né à Addis-Abeba où son père était ambassadeur. Après un retour en Angleterre pour des études à Eton, puis Oxford, il est invité en 1934 au couronnement d’Haïlé Sélassié qu’avait soutenu son père: il fait un premier voyage dans le désert du Danakil. De retour dans son pays, il n’a de cesse de revenir dans les lieux de son enfance et se fait engager en 1935 par le Saudan Political Service. Après-guerre, un voyage dans la sud de l’Arabie, puis la traversée de la chaîne du Hedjaz, le rend obsédé par le Désert des Déserts. Il parvient à s’y faire envoyer en mission scientifique par un spécialiste des criquets dévastateurs. Le livre nous raconte d’une part le premier voyage de 1934 en Somalie, puis les voyages en Arabie de 1945 à 1950.
    Thesiger voyagea en compagnie de Bédouins nomades et bien qu’il soit obligé souvent d’employer un guide – rabia, originaire de la tribu dont dépendait le territoire traversé – il se lia d’amitié principalement avec les hommes de deux tribus alliées, il apprit leur langue, s’habilla comme eux et s’efforça d’adopter leur comportement. Comme eux, il marchait pieds nus, montait les chamelles pourvoyeuses de lait, aliment essentiel des hommes – à califourchon, mais ne put jamais adopter la position à genoux des Bédouins. Il décrit leurs coutumes, leurs croyances et souligne leur incroyable sens de l’hospitalité, leur caractère sans nuance passant d’un extrême à l’autre. Il admire par-dessus tout leur façon d’être capables de lire les traces et d’identifier avec exactitude un animal des semaines après son passage, de reconnaître un territoire parcouru une seule fois, leur incroyable hospitalité, leur respect sans faille de la parole donnée, leur courage, leur extrême pudeur, leur absence de cruauté : ils tuent mais ne torturent pas, ils ne s’en prennent jamais aux femmes ni aux enfants ; mais il relève aussi leurs points faibles.

    La fascination du désert est celle d’un lieu, l’auteur est sensible aux tons du sable, aux plantes, aux animaux, aux ombres, mais c’est aussi la pensée de la permanence d’un mode de vie inchangé depuis des millénaires et ce lien des Bédouins avec le passé le plus ancien qui est un facteur de son attachement à eux. Il y a aussi un fond d’attirance sexuelle refoulée dans son affection pour Salim bin Kabina, ou encore Salim bin Ghabaisha: « Son visage était d’une beauté classique, pensif et un peu triste au repos, mais qui dès qu’il souriait, s’illuminait comme un lac sous le soleil. C’est ainsi qu’Antinoüs dut apparaître à Hadrien lorsque celui-ci le vit pour la première fois dans les bois de Phrygien ». Il ne faut pas non plus négliger la recherche de l’exploit qu’il avoue à propos des sables mouvants : « Aujourd’hui, ils s’étendaient devant moi et j’étais le premier Européen à les contempler. » (377), et il fait d’ailleurs allusion à ses prédécesseurs, les Thomas, Philby, Lawrence, etc. Enfin, la dimension d’aventure spirituelle basé sur le rejet de la modernité envahissante et destructrice, ainsi que sur le désir de se mettre à l’épreuve, est un aspect très présent dans la narration de l’auteur.

    Le livre de Thesiger nous emporte dans un monde où règnent aussi la peur, la souffrance liées aux conditions extrêmes, monde attachant qui possède la beauté nostalgique de ce que nous ne connaîtrons jamais.

    . . . . . .

    Citations

    « Dans le désert, j’ai fait l’expérience d’une liberté impossible dans le monde civilisé, d’une vie allégée de tout bien personnel et appris qu’en fait ce qui n’est pas de première nécessité encombre. J’ai fait également l’apprentissage d’une fraternité inhérente aux conditions mêmes de cette vie et acquis la conviction que c’était là, et là seulement, que l’on pouvait trouver la sérénité. J’avais ressenti et apprécié la satisfaction qu’on retire des épreuves endurées, le plaisir qui naît de l’abstinence; le contentement de la faim apaisée; la saveur de la viande; le goût d’une eau pure; l’extase de l’abandon au sommeil quand le besoin en est devenu torture; la chaleur d’un feu dans le froid piquant de l’aube. »p.40-41

    « Les déserts de l’Aravie couvrent plus d’un million six cent mille kilomètres carrés, et le désert du Sud en occupe à lui seul près de la moitié. Il s’allonge sur mille trois cent quarante kilomètres, de la frontière du Yémen au contreforts d’Oman, et sur huit cents kilomètres de la côte sud de l’Arabie au golf Persique et à la frontière du Nedjd. Ce n’est le plus souvent qu’une immensité de sable, si vaste et si désolée que les Arabes l’appelle Rub al Khâli, ou « zone vide ». C’est le désert des déserts. » p.44.

    « Je me demandais si ce vieillard n’avait pas vu plus clair qu’eux ; n’avait-il pas pressenti la menace que ma présence ici laissait présager: la proche désintégration de leurs traditions et l’anéantissement de leurs croyances? » p.97.

    « Tout en cheminant, je songeais qu’il n’existait une telle continuité nulle part ailleurs que dans le désert d’Arabie. Ici, des nomades de race sémitique, ressemblant à mes compagnons, avaient dû garder leurs troupeaux bien avant que les Pyramides ne fussent construites ou que le déluge n’effaçât toute trace humaine dans la vallée de l’Euphrate. Sur tout le pourtour du désert, les civilisations qui se succédèrent connurent la grandeur, puis la décadence (…) Ces civilisations durèrent plusieurs siècles, ou plusieurs milliers d’années, puis s’effondrèrent (…) mais dans le désert, les tribus nomades continuèrent à vivre selon un mode et un rythme inchangés (…). p. 110.

    « Pour moi, exploration signifiait risque et aventure personnelle. Je n’avais pas sillonné les déserts d’Arabie dans le but d’établir une carte ou d’en rapporter des spécimens de plantes. (…) Ce que je cherchais à travers les épreuves qu’impose l’exploration des déserts et au contact des peuples qui les habitent, c’était la paix de l’âme. » p.348


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