2024-40

Marcel PAGNOL

Cinématurgie de Paris

Éditions de Fallois. 2017. 216 pages.

Sous le titre de Cinématurgie de Paris, les éditions de Fallois réunissent les écrits de Marcel Pagnol (1895-1974) sur le cinéma, couvrant une période allant de 1939 à 1966, suivis des « Préfaces diverses ».

Marcel Pagnol, qui obtint dès 1927 un succès phénoménal au théâtre avec Marius, découvrit le cinéma parlant en 1929, à Londres. Il comprit immédiatement l'immense potentiel dramaturgique de l'ajout du son à l'image. Il analyse la nature des deux formes cinématographiques, souligne la résistance de l'industrie du muet à l'introduction du parlant, dont il entreprit de se saisir en devenant lui-même réalisateur et en fondant, dès 1932, sa propre société de production : on connaît la réussite de la trilogie marseillaise. Tout en soulignant l'importance de l'avènement du parlant, il approfondit en parallèle sa réflexion sur l'art dramatique dont le cinéma parlant serait l'ultime aboutissement, que prolongera la télévision, pour laquelle il a travaillé et à laquelle il consacre quelques pages, dont les plus intéressantes concernent le direct. Ses « Préfaces diverses » sont un florilège de souvenirs – souvent de tournage, comme pour celui de la Femme du boulanger –, de portraits ou d'hommages, tour à tour ironiques, hilarants et touchants jusqu'aux larmes.
Marcel Pagnol, auteur apparemment passé de mode, est un homme bouillonnant de vie qui a fait preuve d'une formidable capacité d'adaptation et d'innovation. C'est en outre un grand écrivain à la plume sans prétention, et d'autant plus parfaite.

Citations

« Le film muet, cet infirme, tirait toute sa force de son infirmité : il était international, comme les langues idéographiques, et son marché, c'était le monde entier. C'est ainsi que le génie comique et pathétique de Charlie Chaplin en fit de son vivant l'homme le plus célèbre de toute l'histoire de l'humanité. (…) il a fait rire ou pleurer des millions d'hommes et de femmes, depuis les Samoyèdes jusqu'au Patagons de la Terre de Feu, grâce à l'idéographie animée que fut le cinéma muet.(…)
Le nouvel art (le cinéma parlant, ndlr) avait donc contre lui toute une armée : celle des gens du muet, qui étaient nombreux, riches et puissants. (…)
Le dialogue, c'est le pont aux ânes de l'art dramatique, c'est la substance même de l'ouvrage. Je ne veux pas dire qu'il faille un grand génie pour écrie du dialogue, mais il faut un don spécial, comme pour jouer au billard, ou pour jouer la comédie.
Celui qui n'a pas ce don, l'art dramatique, le rejette, et ce qu'il écrira n'aura pas la vie. Ainsi de très grands écrivains, comme Flaubert, comme Balzac, comme Ernest Renan, ont écrit des pièces de théâtre. Elles étaient ennuyeuses, injouables, imparlables. Et les auteurs de films muets qui prétendirent écrire des dialogues croyaient qu'une phrase est une réplique, qu'une conversation est une scène, qu'un bon mot peut être dit par n'importe quel personnage, n'importe où et n'importe quand... Ils ne purent franchir l'invisible barrière qui en avait arrêté de plus grands. » p. 56-59

« L'art dramatique utilise tous le arts, et les arts majeurs eux-mêmes deviennent mineurs lorsque la dramaturgie les emploie. (…) L'art dramatique, c'est l'art de raconter des actions et d'exprimer des sentiments au moyen de personnages qui agissent et qui parlent. »p. 96

« L'Adieu à Raimu

On ne peut pas faire un discours sur la tombe d'un père, d'un frère ou d'un fils, tu étais pout moi les trois à la fois : je ne parlerai pas sur ta tombe.
D'ailleurs, je n'ai jamais su parler et c'est Raimu qui parlait pout moi. Ta grande et pathétique voix s'est tue, et mon chagrin fait ton silence
(…)
Pour la première fois tu ne riais pas, tu ne criais pas, tu ne haussais pas tes larges épaules. Et pourtant, tu n'avais jamais tenu autant de place, et cette présence de marbre nous écrasait par ton absence.
Alors, nous avons su qui tu étais. » p. 215