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Ce que je sais de toi
N°579
Éric Chacour
Ce que je sais de toi
Éditions Alto 2023, Éditions Philippe Rey 2023
300 pages
Alto - une semaine, un livre (eklablog.com)
Philippe Rey - une semaine, un livre (eklablog.com)
Ayant hérité du cabinet médical prospère de son père dans un beau quartier du Caire, un jeune médecin décide d’ouvrir en parallèle un dispensaire dans un des quartiers les plus pauvres de la ville. Les rencontres qu’il y fera bouleverseront sa vie.
À travers le récit de la vie de ce médecin égyptien de 1961 à 2001, Éric Chacour construit un portrait de la société égyptienne moderne, vu d’une famille aisée, en ancrant le récit dans l’actualité des époques traversées. Mais cela n’est qu’un cadre, son propos est plus intime. Ce qu’il raconte, c’est la difficulté de vivre sa vie dans un monde corseté, plein de normes et de règles qui ne permettent guère l’épanouissement personnel. Le poids de la famille, sous l’emprise de la matriarche pèse particulièrement lourd. Difficulté de vivre ? Plutôt impossibilité puisque Ce que je sais de toi est aussi une tragédie. Éric Chacour parle d’amour mais aussi de relation filiale, et c’est sur ce sujet qu’il excelle et propose quelques pages éblouissantes.
Le narrateur, dont l’identité ne sera dévoilée que passé la moitié du récit, raconte cette histoire en s’adressant au personnage principal, le médecin, comme en une longue lettre personnelle et remplie d’interrogations. Seuls quelques courts chapitres, apparaissant en italiques, donne un peu d’air extérieur. La maîtrise de l’écriture et de la construction est admirable. Ce que je sais de toi est un roman d’une grande force et porteur d’émotions puissantes autant que de réflexions.. . . . . .
Éric Chacour est né Montréal en 1983 dans une famille d’immigrés égyptiens. Après des études en économie appliquée et en relations internationales, il travaille dans le secteur financier. Parallèlement, il s’attache à l’écriture d’un roman qui lui demandera une dizaine d’années de travail. Ce roman, Ce que je sais de toi, publié en 2023, a reçu le Prix Femina des lycéens, puis le Prix des cinq continents de la francophonie et le Prix des libraires en 2024.
Extraits :
Ce que je sais de toi, je l’ai appris de Fatheya. Nous attendions que leurs activités respectives attirent les autres femmes de la famille hors des murs du domicile pour que je lui pose mes questions. Je m’attablais à la cuisine pendant qu’elle préparait le repas. Je descendais avec cartable et cahiers, prêt à brandir le prétexte de mes devoirs si l’on venait à nous surprendre. Mémie se montrait méfiante de me voir traîner avec la bonne ; je m’empressais de la rassurer, arguant qu’il valait mieux que quelqu’un se dévoue pour surveiller le dosage d’épices de Fatheya. Il était admis de tous qu’elle avait la main lourde sur les aromates, je tenais là une excuse recevable. Ce que je sais de toi sentait l’ail et l’anis.
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Les souvenirs n’ont de valeur que pour ceux qui les peuplent. Une fois ces derniers disparus, ils deviennent une devise qui n’a plus cours, une monnaie de singe dont il faut se méfier. À la disparition d’Ali, quinze ans plus tôt, tu avais décidé d’enterrer votre histoire dans un recoin de ton esprit. Un emplacement oublié des cartes, un lieu secret d’où personne ne viendrait l’exhumer. En quelques heures pourtant, Ali était revenu d’entre les morts, faisant de toi ce vieux fou qui cherche désespérément à retrouver le trésor dont il s’était défait parce qu’il le croyait sans valeur. Pour le temps que dura cette illusion, tu creusas à mains nues le sol siliceux de ta mémoire, au point de te retrouver les doigts en sang et la raison à l’agonie. Mon cœur se serre lorsque je t’imagine prêt à vivre la résurrection d’un homme disparu pour de bon.
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