• Voyageur malgré lui

    N°528Voyageur malgré lui

    Minh Tran Huy

    Voyageur malgré lui

    Flammarion 2014, Babel 2023

    211 pages

    À la fin du XIXe siècle un homme est atteint de dromomanie ou folie du fugueur ; en 2010, une athlète somalienne remarquée aux Jeux Olympiques de Pékin doit traverser l’Afrique pour rejoindre l’Europe où elle espère pouvoir se consacrer à son sport ; dans les années 70, la famille de la narratrice quitte le Vietnam pour venir vivre en Europe.

    La narratrice, elle-même en voyage entre New-York et Paris, met en relation ces différentes histoires qui ont en commun le voyage. Mais pas le voyage de tourisme ni d‘affaires, le voyage obligé, obligé par les circonstances de la vie. Le voyage imposé, soit par la maladie de cet homme qui ne pouvait pas s’empêcher de partir en voyage, soit par les conditions de vie qui poussent à partir, à voyager vers une autre vie au risque de ne pas la trouver, happé par les dangers du voyage.

    Voyageur malgré lui est un texte original et séduisant. Écrit à la première personne du singulier, par un double de l’auteur tant son expérience personnelle paraît proche de celle de sa narratrice, il mélange d’une façon fluide et pertinente réflexion historique et vécu, récits de destins compliqués et impressions personnelles. Ni essai ni autobiographie, Voyageur malgré lui, est un texte à la fois intime et universel. Minh Tran Huy regarde le monde d’aujourd’hui à l’aune de la vie de sa famille. Elle propose une réflexion douce, mais avec la violence totale en toile de fond. Ces voyageurs malgré eux sont déracinés, poursuivis, meurtris, voire éliminés. Bien qu’elle parle peu des drames des migrants actuels, son livre est un cri sourd, une plongée introspective sur ces mondes mouvants qui sont présents mais invisibles dans le quotidien. Ce monde des gens qui errent entre un monde qui leur est insupportable et un autre qui leur est, au mieux, étranger, qui errent dans un vide qui souvent les absorbe, où ils disparaissent.

    Voyageur malgré lui est un texte tout en finesse mais qui touche à un des problèmes principaux de notre époque, avec intelligence, émotion et clairvoyance.

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    Voyageur malgré luiMinh Tran Huy est née en 1979 à Clamart en banlieue parisienne dans une famille d’émigrés vietnamiens. Après de brillantes études au Lycée Henri-IV, à la Sorbonne et à l’Institut d’études politiques de Paris, elle travaille au Magazine littéraire. Elle publie un premier roman en 2007. Elle a écrit 4 romans, un recueil de contes et un récit.

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    Extraits :

    Je suis demeurée longtemps immobile devant ce texte, absorbée par la pensée de cet homme qui, toute son existence, n'avait eu d'autre choix que de s'en aller, encore et encore. Cette condamnation à errer sans jamais pouvoir s'arrêter, ni trouver le repos, avait quelque chose d’infiniment triste. Je me demandais ce qu'il était advenu de lui. Quelqu'un avait-il élucidé le mystère de sa « dromomanie » ? Avait-il suivi un traitement et réussi à guérir ? Ou bien avait-il disparu en solitaire, au détour de l'une des centaines de routes qu'il avait empruntées vers une nouvelle destination, un nouveau mirage ? Tournant et retournant ces questions dans ma tête, j'ai pris en photo le mince paragraphe dévolu à l'ouvrier fugueur, puis quitté la galerie et ses briques décorées de tags avant de m'engouffrer dans le métro new-yorkais.

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     L’impression née de ce premier voyage ne m'a jamais quittée : par la suite, je me suis toujours demandé si mon père, enfant réfugié, parent pauvre, étudiant étranger, travailleur expatrié, touriste en son propre pays, s'était jamais senti à sa place quelque part. Mon père qui avait obtenu grâce à ses brillantes études ce que Samia n'avait pu obtenir par ses performances sportives. Mon père qui avait eu la force qui avait manqué à Thinh, la chance qui avait manqué à Hoai, le réalisme et la lucidité que Linnh avait sacrifiés à ses idéaux. Mon père qui avait été à la fois un voyageur malgré lui et un homme pour qui le voyage était devenu la vie, comme Albert dont il connaissait les mêmes absences, ne croyant pas plus que le premier fugueur, au fond, à un ailleurs où il aurait pu être libre et heureux, bien qu'une part de lui y inspirât de toute son âme …


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