N°184

Duong Thu Huong

1992, Sabine Wespieser 2010, Le Livre de Poche 2013

284 pages

Un sous-officier de l’armée populaire vietnamienne est chargé d’une mission difficile. Son périple l’amène à faire de nombreuses rencontres, à faire face à des situations de survie et de choix extrêmes, et attise ses souvenirs.

Avec Roman sans titre, Duong T. H. trace une grande esquisse de la guerre qui dévasta son pays entre 1955 et 1975. Son héros s’engage à 18 ans dans l’exaltation de la jeunesse et des débuts de guerre et la traverse en entier, perdant la plupart de ses amis. La mort dans chaque bataille, la violence extrême et la cruauté, la folie qui guette les soldats, la misère totale qui règne dans le pays, la souffrance quotidienne, les désirs perdus d’amour et de paix de toute une génération, le cynisme des dirigeants et l’idéalisme perverti forment ce récit complexe.

Duong T. H., romancière, réussit en outre à faire raconter son histoire à la première personne du singulier par un homme, avec succès, lecture parfois déroutante tant les pensées masculines sont précises. Le héros décrit les diverses situations qu’il traverse avec détails mais toujours avec ses propres observations et ses mots. Le récit passe en permanence des situations présentes à ce qu’elles rappellent dans les souvenirs du personnage principal avec des évènements qui reviennent de façon presque obsessionnelle comme la naissance de son petit frère dont il apprendra la mort au front ou sa relation difficile avec son père. Il dépeint ainsi une société d’avant la guerre pauvre et dure.

Roman sans titre est un livre à la fois intime et d’une grande portée politique, s’attachant autant aux sentiments d’un soldat pendant une guerre sans fin qu’à la critique politique de l’époque très troublée de la décolonisation du Viêt Nam.

Extrait:

La bataille fut exemplaire. « Vague du fleuve Rouge », c'était son nom de code, s’acheva sur une grande victoire, une illustration grandiose de l'efficacité de nos techniques de guerre. Nous avions anéanti un régiment ennemi, en avions décimé deux autres. Nous reçûmes l'ordre de nous replier vers l'arrière pour nous reposer et reprendre des forces.

Pendant la marche, un sous-officier sauta sur une mine. On me rapporta qu'il était allé se soulager dans la forêt. Mais, en ouvrant son ballon pour inventaire, on trouva plus de 30 cuillères, couteaux et fourchettes. Rien que de l'inoxydable, d'origine américaine. Je faillis ordonner de tout balancer dans le ruisseau. Je grinçais des dents. À quoi ça sert, la douleur des pauvres ? Les camarades étaient stupéfaits de me voir en fureur sans raison. Ils supportèrent en silence. Je m'en allai tout seul au bord du ruisseau. Je grillai cigarette sur cigarette, regardant la fumée danser, s’éparpiller. « Salaud, j'aurais dû te rappeler à l'ordre et te filer quelques gifles. Échanger ta vie contre ces misérables trophées.» J'insultai le mort. Je m'insultai. Et je vis d’immenses champs grouillant de cigognes blanches. Elles cherchaient leur pitance dans la boue. De misérables bestioles. Je vis des haies de bambou torturées par le vent, et une bande d’échassiers mouillés, décharnés, qui marchaient d'un pas chancelant le long des marécages.

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Eléments biographiques :

Dương Thu Hương est née dans le Nord du Viêt Nm en 1947. Elle fait des études de chants et s’engage dans la guerre comme animatrice culturelle tout en étant marié à un homme qu’elle n’aime pas et dont elle réussira à divorcer après la guerre. Elle participe à la renaissance littéraire du Viêt Nam dans les années 1980. Elle publie son premier roman en 1986. Elle est aussi connue sur le plan international pour sa lutte en faveur de la démocratie et de la liberté, ce qui lui vaut d'être surveillée par les autorités vietnamiennes. En plus du vietnamien, elle maîtrise aussi la langue française. Elle a publié 10 romans.