• Ton absence n'est que ténèbres

    N°551Ton absence n'est que ténèbres

    Jón Kalman Stefánsson

    Ton absence n’est que ténèbres

    Fjarvera Pín Er Myrkur

    Traduit de l’islandais par Éric Boury

    2020, Grasset 2022, folio 2023

    582 pages

    Grasset - une semaine, un livre (eklablog.com)

    folio - une semaine, un livre (eklablog.com)

    Un homme amnésique est de retour dans son village natal. Il cherche à comprendre qui il est. Il rencontre un chauffeur de bus qui le guide dans son passé.

    Ton absence n’est que ténèbres est la saga, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à nos jours, d’une famille de fermiers vivant dans la lande, mais qui a toujours eu des interactions avec la ville, la culture et la société. Il s’agit donc tout d’abord d’une belle peinture de la société islandaise, société isolée sur son île, mais pleine de richesses. Ensuite, comme dans ses précédents romans (une semaine, un livre n° 39, 169, 269, 271 et 456), ce qui intéresse Jón Kalman Stefánsson, ce sont les sentiments humains. Il creuse encore et encore dans l’âme humaine pour comprendre le sens de l’amour, de la passion, du désir, du courage, de la fidélité, de l’amitié, sous toutes leurs formes. Il pose sans cesse la question de comment vivre et comment mourir, pourquoi les êtres humains s’aiment et se déchirent.

    Lire Ton absence n’est que ténèbres, c’est embarquer pour une aventure littéraire dans les sentiments, dans la pensée, dans la mémoire ; une aventure pleine de surprises, de pièges et d’embûches. Dans une interview pour le journal suisse Le Temps, Jón Kalman Stefánsson dit « Personne n’organise sa pensée de façon linéaire. Dès lors, pourquoi l’histoire que j’écris devrait-elle être chronologique ? ». Ainsi, il faut se laisser porter par sa pensée, quitte à être perdu, étourdi, essoufflé, tant sa pensée est riche et vive, tant ce sont les émotions qui la guident.

    Il n’est pas facile de rentrer dans ce texte complexe comme la pensée, enrichi de multiples références historiques, littéraires et poétiques, scandé par la musique, le jazz et le rock, de Chet Baker à Leonard Cohen en passant par Tom Waits, Dylan et les Beatles, mais il renferme tant de richesses et d’émerveillements qu’il est encore moins facile d’en sortir, et quand on le finit, on se dit qu’on va le relire tout de suite.

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    Ton absence n'est que ténèbresJón Kalman Stefánsson est né en 1963 à Reykjavik. Après des études non terminées à l’université de Reykjavik, il vit un moment à Copenhague puis rentre en Islande pour s’occuper d’une bibliothèque. Après un premier roman écrit en 1997, il connaît le succès en 2007 avec Entre ciel et terre, premier volume d’une trilogie. Il a publié 3 recueils de poésie et 14 romans dont 9 ont été traduits en français.        ©Einar Falur Ingolfsson

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    Extraits :

    Vous êtes inquiet pour Gísli, répète le chauffeur sanctifié, tenant à la main une vieille crêpière noire et usée, comme s'il brandissait une sombre profession de foi. Seulement pour lui, et pas pour tous les autres, Guðriður, Pétur, Halla, ni pour l'ensemble du genre humain – je dirais même tout spécialement pour ce dernier ? Avez-vous remarqué que l'homme semble s'attacher à rendre compte des déséquilibres et des malheurs, des incertitudes et des douleurs, voire des tragédies ; peu de gens sont enclins à décrire les délices du paradis. Posez la question à Hölderlin, il a perdu la raison et vous confirmera mes dires. Peut-être que tout ira bien pour Gísli, ou peut-être pas, mais toute chose finit par mourir et là, il est trop tard pour espérer être heureux. En revanche, on peut toujours faire quelques crêpes. Les temps ne sont vraiment délétères qu'à partir du moment où l'on ne peut plus se consoler et consoler les autres avec de bonnes crêpes tièdes. Même s'il ne faut pas non plus oublier que celui qui n'a jamais été blessé par l'amour ne connaît pas la vie. On peut même dire qu'il n'a pas vécu.

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    Kári avait attendu le lendemain soir pour prévenir tout le monde. Il avait passé la journée auprès d'elle, à lui tenir la main, à sentir son corps qui refroidissait. Leurs enfants avaient écrit ensemble une nécrologie publiée dans le journal, un texte court, à peine dix lignes, qu'ils avaient pourtant mis toute une soirée à rédiger. C'est qu'il n'y avait pas grand chose à raconter. Et son quotidien n'évoquait pas grand-chose à ceux qui ne vivaient pas ici, puis ils avaient eu des problèmes pour trouver une bonne photo – aucun des clichés ne correspondait à la femme qu'ils avaient connue. Elle avait vécu soixante-dix ans et il n’y avait pas grand chose à dire d'elle. Si ce n'est qu'elle avait été aussi robuste et fiable que le poteau d'une clôture, qu’elle savait s'y prendre avec les taureaux, qu'elle aimait compter les étoiles, qu'elle écoutait son mari lui lire à haute voix du Gunnar Gunnarsson ou du Laxness. Certaines vies semblent si dénuées d'événements notables qu'il est difficile de les décrire. Tout autant que les poteaux d'une clôture. Et pourtant ce sont ces poteaux qui soutiennent tout.


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