• Le bois de bouleaux - Les demoiselles de Wilko

    2016-47

    Jaroslaw Iwaszkiewicz

    Les nombreux articles parus à l'occasion de la mort de Wajda m'ont poussée à lire cet auteur polonais chez lequel Wajda a puisé matière à la réalisation de deux films portant ces titres.

    IWASZKIEWICZ Jaroslaw, le Bois de bouleaux. Les demoiselles de Wilko.(1ère édition polonaise: 1932 ; 1ère traduction :1938). Nouvelles traduites du polonais par Paul Cazin. Paris, Editions des Autres, 1979. 178 pages.

    Ce sont les demoiselles de Wilko qui ouvrent le recueil.
    Victor Ruben, à la suite de la mort de son seul ami, Georges, a un gros coup de blues. Administrateur d'un orphelinat qui accueille de jeunes aveugles, il prend un congé sur les conseils du médecin et va rendre visite à son oncle et sa tante qu'il n'a pas vus depuis 15 ans, depuis le début de la Première Guerre Mondiale qui l'avait contraint à abandonner ses études et à partir au front. Mais avant d'arriver à leur ferme de Roski, il ne résiste pas à
    l'appel du manoir de Wilko, dont son oncle avait été l'intendant et qu'il avait fréquenté pendant deux ans. Et c'est le coeur battant qu'il retrouve les jeunes filles qu'il avait alors connues et fréquentées assidûment l'été où il avait été précepteur de latin de Sophie. Manque Félicie, Féla, morte de la grippe espagnole à la fin de la guerre ; les autres, Juliette, Yolande, Casimire, Sophie sont mariées, à l'exception d'Antoinette, la plus jeune qui n'a pas encore vingt ans. Et pendant ses trois semaines de congé, ce sont des promenades à pied, à cheval, en barque sur l'étang, des goûters, des dîners, des conversations avec l'une ou l'autre de ces femmes. Ce sont des allers et retours de la ferme au manoir, du manoir à la ferme, des allers-retours du présent au passé et le présent, du passé au présent. « Et il comprenait ce qui faisait le charme de ces deux années, et pourquoi elles avaient pour lui ce relief et cette couleur.
    C'était le vague et juvénile érotisme que dégageaient autour d'elles ces jeunes filles aimables ; c'était également ce qui comptait le plus pour elles-mêmes, et c'était pourquoi elles se souvenaient si bien de lui. »(30 ) À plusieurs reprises, il rêve de parler du passé, avec Juliette qu'il avait alors retrouvée dans son lit à quatre reprises, l'un et l'autre faisant comme s'il ne s'était rien passé ou avec Yolande, la plus jolie, mais il ne parvient à évoquer le passé qu'avec Sophie qui n'avait jamais été sensible à son charme, avait souvent manifesté à son encontre une supériorité de classe et qui lui dit sans ambages ce qu'elle pense :
    « tu as peur d'une décision, tu as peur de tout, même de toi (…) Non, vraiment, rien ne t'importe » (73) , après lui avoir déclaré qu'aujourd'hui comme hier ses soeurs étaient remplies de désir pour lui.  Et c'est, comme en 1914, Yolande qui l'accompagne à la gare, à la fin des trois semaines que durait son congé.

    Dans le Bois de bouleaux. Stanislas, à l'issue de deux années de sanatorium à Davos, débarque chez son frère, Boleslas, intendant d'un domaine forestier, veuf depuis un an. Il découvre la maison forestière où vivent Boleslas et sa fille Olga, au milieu des pins, seul un bois de bouleaux ayant été épargné, bois dans lequel la femme de Boleslas a été enterrée l'année précédente. Boleslas, encore perdu dans son chagrin, a du mal à supporter son frère, ses chaussettes vertes, son allure de dandy qui a voyagé en Europe et il le
    délaisse. Stanislas sait qu'on l'a laissé partir du sanatorium lors de l'ultime rémission de la maladie. Il se revivifie au contact de la nature lors de longues promenades, seul ou avec la petite Olga. Une jeune paysanne voisine, Malina, lui fait sentir tout ce qu'il va perdre et lui donne le sentiment de vivre dans « l'atmosphère du bonheur » (125). Entre souvenirs de son existence antérieure et plaisirs de la vie campagnarde, Stanislas glisse peu à peu vers la
    fin, accompagné un soir par le chant de Malina, qui, empêchée de le voir, lui fait ce superbe adieu. Boleslas se sent soulagé de la disparition de son frère, l'enterre dans le bois de bouleaux et décide de quitter le domaine.

    Dans les deux nouvelles, Iwaszkiewics assume la position du narrateur omniscient et écrit à la troisième personne. Le point de vue des Demoiselles est unique, c'est celui de Victor Ruben, alors que dans le Bois, si c'est plus fréquemment celui de Stanislas, « il » désigne aussi parfois Bodeslas. Les deux nouvelles sont une sorte d'hymne au monde vivant, à la terre et à sa générosité durant l'été. La nature, que soit par des journées ensoleillées ou pluvieuses, est magnifiée. S'y plonger est toujours apaisant pour les protagonistes. Les deux nouvelles sont aussi une réfexion sur l'amour, l'amour refusé, l'amour perdu, l'amour inconnu, mais l'amour qui plus que tout assure notre présence au monde. Ces deux textes très bien écrits, ces deux récits sobres et émouvants, font un recueil absolument magnifique.
     

    Citations

    Les demoiselles de Wilko

    « Il prit peur. Il erra sous les branches pendantes des noisetiers, puis alla s'asseoir dans le bois, sur un banc de gazon. Il attendait, regardait, perdant tout sentiment de la réalité. La saison, frappée à mort, lui faisait mal comme une blessure. Du fouillis confus de ses sensations, il ne percevait que l'impossibilité d'atteindre à rien . (…) Victor, indiférent à la conversation, pensait aux transes de la solitude où l'avait jeté le regard ironique de Sophie. Il sentait l'atmosphère s'épaissir, s'alourdir autour d'eux, mais ne voulait pas se l'expliquer. Il savait une fois pour toutes, il savait maintenant que les choses, telles qu'elles existent en elles-mêmes, sont inaccessibles, qu'il devait demeurer seul sur le rivage de cette mer blanche qui monterait peu à peu, l'emporterait, sans que personne ne le suive...» pages 74, 76-77.

    « Il était clair comme le jour que, suivant la formule des familles bourgeoises, il avait gâché sa jeunesse. C'est une lourde faute que de ne pas apercevoir son propre bonheur.
    (…) Il n'avait jamais aimé personne, non que l'occasion lui eût manqué, mais parce qu'il était un lâche » P. 85

    Le Bois de bouleaux

    « Par les fenêtre de sa chambre, il (Stanislas NDLR) regardait le tissu grisâtre et mouvant derrière lequel se cachait le monde, il regardait les files monotones des pins, comme s'il les avait pour la première fois devant les yeux, et soudain, la pensée de cette fille lui venait à l'esprit... « Voilà donc la vie » se répétait-il entre ses dents. Et cette phrase qui au fond n'exprimait aucune idée, mais où se déchargeait son coeur trop plein, était devenue un
    leitmotiv de ces jours inoubliables. « Voilà donc la vie », se disait-il à chaque occasion.
    Il lui semblait qu'au moment où il avait dit adieu à une partie de l'existence, où il s'était séparé de tout ce qui dans son imagination, était la grande vie, la vraie vie, quand il avait tiré les portes sur lui pour mourir là tranquillement, alors la vie lui montrait son vrai visage. » p. 124


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