• L'ode au chou sauté

    N°552

    Areno Inoue

    L’ode au chou sauté

    Kyabetsu itame ni sasagu

    Traduit du japonais par Patrick Honnoré

    2011, Éditions Picquier 2021, Picquier Poche 2023

    254 pages

    Picquier - une semaine, un livre (eklablog.com)

    Trois femmes, la cinquantaine, tiennent une petite boutique de traiteur à l’ambiance sympathique et décontractée. Elles tombent sous le charme du jeune livreur de riz.

    L’ode au chou sauté raconte le quotidien de ces trois femmes dans leur cuisine autant que leurs vies passées, leurs maris partis ou disparus, et leurs désirs ravivés par la venue de ce jeune livreur, désirs fantasmés plus que réels. Chaque chapitre tourne autour d’une recette de cuisine qui évoque un moment du passé : une recette qui a été à l’honneur lors du mariage d’une d’entre elles ou une recette d’un mets dégusté en même temps qu’un homme a été aimé.

    L’ode au chou sauté appartient à cette littérature à la mode au Japon qui mêle cuisine et sentiments, comme dans les fameux mangas Le Gourmet solitaire de Jirô Taniguchi et Masayuki Kusumi (une semaine, un livre n°70) et La Cantine de minuit de Yarô Abe (n°215), ou dans un roman comme Le Restaurant de l’amour retrouvé de Ito Ogawa (n°238), ou encore comme l’essai Nagori (n°444) de Ryoko Sekiguchi qui d’ailleurs dirige la collection le Banquet des éditions Picquier. Une littérature qui met en évidence les côtés évocateurs et nostalgiques de la cuisine, son importance dans la société japonaise, la sensualité de cette cuisine, son rôle dans l’expression des sentiments et les liens sociaux qu’elle favorise.

    L’ode au chou sauvage est un roman léger et drôle bien que touchant aux bonheurs comme aux drames de la vie. C’est un roman délicieux comme les plats qui y sont décrits. Il illustre bien la société contemporaine japonaise, une société plutôt tournée vers la recherche des plaisirs quotidiens, des sentiments simples, une société plutôt romantique mais consciente des questions sociales.

    . . . . .

    Areno Inoue (井上荒野) est née à Tokyo en 1961. Après des études de littérature anglophone, elle travaille comme rédactrice en freelance et publie quelques textes à compte d’auteur. En 1989, son roman My Noureev remporte un prix littéraire ; elle commence une carrière d’écrivain à succès. Elle a publié plus de cinquante romans dont seuls deux ont été traduits en français par les éditions Picquier.

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    Extrait :

    Trois marmites étaient en train d'étuver leur double litre de riz chacune. Trois énormes autocuiseurs.

    Ikuko les surveillait de près. Comme si elles étaient sur le point de parler.

    Parfois, il lui arrivait presque de les entendre. Et que je te glougloute. Que je te susurre. Mais pas toujours. Parfois, elle n'entendait rien. Si elle n'entend rien, c'est qu'elle n'a pas envie d'entendre, sans doute. Dans tous les cas, histoire de ne pas les surveiller de trop près non plus, de leur laisser un peu de bride sur le cou, elle souleva le couvercle. Celui de la première marmite, pour commencer. Elle se trouva instantanément environnée de la vapeur vigoureuse du riz.

    L'odeur lourde et sucrée du riz cuit. Une odeur pleine de nostalgie, de tendresse. De tristesse aussi, mais à quoi bon penser trop fort aux choses tristes ? Alors avec un soupir sonore, elle dit : « Mmm, quelle bonne odeur… » Cela avait du moins le mérite de remettre les pensées inutiles à leur place.

    – Qu'est-ce que c'est que ce râle sensuel que tu nous fais, dis ?

    Dos à dos avec elle, Kôko, qui prélevait les légumes de la poêle pour les disposer dans les caissons en inox, éclate de rire. Un rire légèrement éraillé qui donne l'impression de sortir d'une bulle de manga. Ha ha ha ha.

    – Pas vrai que c'était sensuel ?

    Kôko demande confirmation à Matsuko qui est en train d'astiquer le comptoir présentoir en verre de la boutique. Elle n'obtient aucune réponse, bien sûr. De son côté, Ikuko pense que bon, ça va, ce n'est pas la peine d'en faire tout un plat, mais Kôko ne lâche pas le morceau.

    – Pas vrai, Matsuko ? Tu as entendu ? répète-t-elle un ton au-dessus. Hé ! Matsuko ! Je te cause !

    – Oui, c'est bon, quoi, tu nous casses les oreilles ! renvoie Matsuko.

    Tiens, ce matin, elle ne se contente pas de renvoyer de la voix. Elle se retourne pour de bon.

    – Sensuel, sensuel… Qu'est-ce qui te prend ? Tu as le feu aux fesses, de bon matin ? Tu n'as que ça en tête, ma parole !

    – Le feu aux… Ah ouais.

    Kôko fait face à l'attaque en roulant de grands yeux faussement consternés. Elle est aux anges, à vrai dire.


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