• Voitures de nuit

    N°364Voitures de nuit

    Nagaï Kafū

    Traduit du japonais de Roger Brylinski

    1931-1935, Pol 1986, Cambourakis 2020

    189 pages

    En 1923, le grand tremblement de terre du Kantō provoque un incendie qui dévaste Tokyo. Les quartiers nocturnes n’échappent pas au désastre mais la vie continue.

    Les six nouvelles rassemblées dans ce volume traitent toutes du monde des geishas, des maisons de rencontre et de la prostitution. À travers les récits des destins, souvent malheureux, des hommes et de leurs amantes, Nagaï Kafū offre la peinture d’un monde qui se cherche. Un monde qui hésite entre les traditions, dont celles des geishas, et l’occidentalisation de la société, le désir d’émancipation et de liberté des femmes, et la supériorité des hommes qui est ébranlée. Un monde qui mélange les valeurs ancestrales héritées des samouraïs pas si lointains et la culture moderne venue d’Europe et d’Amérique. Un monde complexe et mouvant.

    Les nouvelles de Voitures de nuit ne s’intéressent pas à la sexualité extraconjugale des hommes et des femmes de l’époque d’un point de vue concret ou comportemental, mais à cette sexualité comme vecteur social, comme révélateur des mentalités, comme marge de la société qui permet de transgresser les règles. Ces récits contiennent un certain mystère, des non-dits, des ambiances feutrées, des ruelles sombres et des soirs de brouillard, des incertitudes amoureuses qu’une certaine connaissance de la culture japonaise permet de décrypter, un peu !

    Nagai Kafū écrit dans un style narratif simple, typique de la littérature japonaise de la première partie du XXe siècle, comme Tanizaki Junichirō ou Mori Ōgai (une semaine un livre n°347). Mais ses histoires sont le reflet de la société japonaise, complexe, torturée et tortueuse, hypocrite, corsetée, et doucement triste.

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    Éléments biographiques

    Voitures de nuitNagaï Kafu 永井 荷風, dont le vrai prénom est Sōkichi 壮吉, est né à Tokyo en 1879 et mort à Ichikawa, près de Tokyo, en 1959. Son père est un homme d’affaires. Il suit sa scolarité dans une école de langue anglaise à Tokyo, il étudie la poésie chinoise et passe quelque temps avec son père en poste à Shanghai, il trouve un emploi dans une université de langues étrangères, puis devient journaliste. Il fréquente beaucoup le quartier de Yoshiwara réputé pour ses maisons de geishas et commence à écrire des nouvelles. Il voyage beaucoup aux États-Unis et en France. Il a écrit de nombreux romans et nouvelles. 15 de ses livres sont traduits en français.

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    Extraits :

    Le vent du soir apportait des boutiques une odeur de poisson grillé. La blancheur du cou et des pieds nus des femmes rentrant du bain égayait le crépuscule de cette journée du commencement de l'été. Devant de nombreuses portes, on voyait des jeunes femmes aspergeant le sol pour faire tomber la poussière. Dans d'autres maisons, on voyait rentrer, au premier étage, la lessive, séchée par le soleil. La plupart étaient des femmes entretenues, jolies et coquettes et Uémura, tout en marchant, ne pouvait détacher ses regards de l'étage supérieur de toutes ces maisons garnies. C'est ainsi qu'en arrivant devant le logement de Kikuko il la vit qui, justement, allongeant ses bras nus, était en train de relever le store qui l’avait abritée du soleil dans la journée. Il n’osa l’appeler de la rue, ce qui était peu convenable, et se contenta de s'arrêter en se découvrant.

    - Eh, c'est vous, Monsieur Uémura ! Montez donc, je vous prie !

    - Cela ne vous dérange pas ?

    - Pas du tout. Montez ! répondit-elle de son ton habituel, négligeant et grondeur.

    (Une femme en chambre garnie)

    . . . . .

    Tel fut le récit de mon ami. La conversation se porta alors sur les grands changements apportés chez nous par la vie moderne, et un autre homme qui y prenait part déclara :

    - Votre singulière histoire de la chambre à louer ne m'étonne guère si je la rapproche de ce qui m'est arrivé un jour à moi-même. Moi aussi j'étais dans un taxi à une heure avancée de la nuit. À côté du chauffeur était assis son mécanicien qui paraissait un jeune homme de dix-sept ou dix-huit ans. Il avait son chapeau profondément enfoncé sur les yeux et le col de son manteau relevé. Comme nous arrivions, dans Yamanoté, à un quartier de villas où l'on ne voyait pas un passant, le chauffeur stoppa tout à coup et disparut, prétextant un besoin à satisfaire. Le mécanicien se retourna vers moi en retirant son chapeau et commença à me parler. Je vis alors que c'était une femme ayant de peu dépassé la vingtaine. Elle avait à la main un flacon de whisky dont elle m'offrir un verre, et je compris qu'elle me proposait de faire de la voiture une chambre à coucher de fortune. N'est-il pas singulier que plus le filet des lois se resserre, plus se développe l'ingéniosité pour y échapper ? Que l'arc et la flèche soient remplacés par des armes plus efficaces, l'oiseau vol plus haut. Perfectionnez les filets et les appâts, le poisson plonge plus profondément. Depuis trois mille ans, le monde n'a pas changé. Si l'on regarde ce qui se passe sur la terre, peut-on penser que notre pays mérite des reproches ?

    Tout le monde se mit alors à parler à la fois, et cela se termina par un rire général.

    (Voitures de nuit)


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