• Vie de deux chattes - Senso

    2018-31

    Vie de deux chattes - SensoPour me détendre du Gulistan, lecture de petits livres légers. Je vous dispenserai de ceux de Gwenn-Aël BOLLORÉ, que j'indique juste pour les amateurs de pêches sur l'estran : Suivez le crabe et Célébration de la bernique, chez Gallimard, dans la collection Carnets de bord, qui n'existe peut-être plus. Loti et Boito, dans des genres très différents, nous donne chacun un petit bijou littéraire.

    LOTI Pierre

    Vies de deux chattes

    Mercure de France Le petit mercure 1997. 93 pages.

    Vie de deux chattes - SensoBOITO Camillo

    Senso. Carnet secret de la comtesse Livia

    Traduit de l'italien par Jacques Parsi. Postface de Christiane Baroche

    Actes Sud 1983

    78 pages.

    Ce texte, publié pour la première fois en 1891 dans le Livre de la pitié et de la mort, a été choisi et est fort bien présenté par Pierre Lartigue.

    Loti (1850-1923), amateur de chats  ̶  c'est d'ailleurs le fameux portrait où il figure avec un chat, peint par le douanier Rousseau en 1910, qui illustre la couverture du livre  ̶  raconte avec beaucoup de tendresse et d'humour, la coexistence de deux chattes, dans la maison de famille de Rochefort, occupée par sa mère et sa tante, maison où il venait se ressourcer entre deux voyages.

    Comme beaucoup d'amoureux des chats, Loti appelait toutes ses chattes du même nom, Moumoutte, tant ce que l'on aime dans la présence des chats est l'essence d'une animalité spécifique et identique d'un animal à l'autre, même si chacune de ses diverses Moumoutte avait son caractère propre. Pour distinguer les deux chattes, Loti appelle Moumoutte Blanche, la matrone qui trônait de plein droit à Rochefort et Moumoutte Chinoise, ou parfois Moumoutte Grise, une pauvre chatte efflanquée qui s'était réfugiée dans sa cabine, alors que son bateau mouillait en Chine, et qu'il avait fini par accepter tant elle avait mis de délicatesse à lui faire entendre qu'elle l'avait choisi pour maître.

    Inéluctablement, un jour, Loti amène Moumoutte Chinoise à Rochefort et le premier contact avec Moumoute Blanche aurait pu être sanglant si on n'avait séparé les deux chattes. Cependant, Moumoutte Blanche comprenant illico, à l'attitude de Loti, que Moumoutte Chinoise était de la famille, adopte une attitude de tolérance hautaine, qui se transforme assez vite en amitié. Et ainsi, les deux Moumoutte vécurent en harmonie, partageant le même sentiment d'exil quand il s'agissait, à la nuit, de quitter la maison pour aller dormir dans une grange. Les deux chattes, atteintes d'une même maladie, moururent à quelques semaines d'intervalles.

    Pierre Loti, dans ce petit récit intimiste, montre une véritable empathie, au-delà des Moumoutte, pour tous les animaux, rats compris. Il nous dévoile sa profonde sensibilité qui corrige l'image du fringant officier de marine, un peu trop mondain, au langage un peu trop précieux de qui vise l'Académie, et c'est un bonheur.

    Citations

    " Je me rappelle le premier jour où nos relations devinrent véritablement affectueuses. (...)

    Moumoutte Chinoise habitait sous mon lit depuis deux semaines à peu près. Elle vivait là très retirée, discrète, mélancolique, observant les conventions et les strictes limites de son plat rempli de sable, se montrant peu, presque constamment cachée, et comme prise de la nostalgie de son pays où elle ne devait jamais revenir. Tout à coup, je la vis paraître dans la pénombre, s'étirer longuement comme pour se donner le temps de réfléchir encore, puis s'avancer vers moi, hésitante, avec des temps d'arrêt ; parfois même, avec une grâce toute chinoise, elle retenait une de ses pattes en l'air pendant quelques secondes, avant de se décider à la poser devant elle pour faire un pas de plus. Et toujours elle me regardait fixement d'un air interrogateur.

    (...)

    Quand elle fut plus près, bien près, à toucher ma jambe, elle s'assit sur son derrière, ramena sa queue et poussa un petit cri très doux.

    Et elle continuait à me regarder, mais à me regarder dans les yeux, ce qui déjà indiquait dans sa petite tête tout un monde de conceptions intelligentes : il fallait d'abord qu'elle comprit, comme du reste tous les animaux supérieurs, que je n'étais pas une chose, mais un être pensant, capable de pitié et accessible à la muette prière d'un regard; de plus, il fallait que mes yeux fussent pour elle des yeux, c'est-à-dire les miroirs où sa petite âme cherchait anxieusement à saisir un reflet de la mienne...

    (...)

    Et tout en la regardant, je laissai descendre ma main jusqu'à sa bizarre petite tête et la promenai sur son poil fauve pour une première caresse.

    (...)

    Alors une petite patte frêle se posa timidement sur moi – oh ! avec tant de délicatesse, tant de discrétion ! – et après avoir encore longtemps consulté et prié du regard, la Moumoutte, croyant pouvoir brusquer les choses, sauta enfin sur mes genoux." p. 30 à 35.

    ……

    Camillo Boito (1836-1914), frère d'Arrego, le librettiste de Verdi, était architecte, décorateur ; chargé du patrimoine, c'est lui qui a orienté la restauration sur la voie de la modernité.  Ce livre, paru en 1883, est son œuvre littéraire la plus connue.

    À l'aube de la quarantaine, la comtesse Livia, qui vient de congédier un amoureux laid et ridicule qui lui fait la cour, se remémore dans son journal l'été 1865, à Venise, alors que, tout juste mariée avec un homme qui aurait pu être son grand-père et qu'elle avait choisi, sans état d'âme, par  vanité et frivolité, elle rencontre un petit officier, Remigio: "Fort, beau, pervers, vil, il me plut." (15). Et à vingt-deux ans, elle connaît, grâce à lui, un épanouissement qu'elle ne retrouvera plus jamais : "J'ai atteint le zénith de ma beauté." (10) En un va-et-vient entre un présent irritant pour une femme vaniteuse et narcissique, dans lequel elle doit cependant défendre son rang de beauté et de séduction – et c'est pathétique – et un passé de splendeur bien révolu, elle évoque sa passion pour Remigio. Elle s'abandonna avec ferveur à cette passion, qui était une véritable dépendance physique, jusqu'à ce qu'en plein Risorgimento et guerre contre l'Autriche, elle découvre que Remigio, planqué grâce à son aide, c'est-à-dire à la fortune de son mari, se moque d'elle en compagnie d'une femme qu'il entretient avec son argent, enfin, celui du comte... Alors, avec une détermination et une rage froide, Livia entreprend de perdre son amant. La vengeance sera terrible.

    Un petit roman délicieusement immoral et cruel pour dire la violence et l'irrationalité des attachements physiques, qui fut magistralement adapté au cinéma par Luchino Visconti.

    Citation

    " J'aimais cet homme jusqu'à son abjection. (...) Qu'avais-je à faire d'un héros ? Mieux même, la vertu parfaite m'aurait semblé fade et méprisable en comparaison de ses vices ; son manque de sincérité, d'honnêteté, de délicatesse et de retenue me semblait le signe d'une vigueur cachée mais puissante, à laquelle j'étais heureuse, orgueilleuse, de plier comme une esclave." p. 24-25.


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