• Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

    N°341

    Jean-Paul DuboisTous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon

    Editions de l’Olivier 2019

    246 pages

    Un homme est condamné à deux ans de prison. Il partage une cellule avec un Hells Angel tout tatoué qui attend son procès pour violence et complicité d’assassinat. Il se remémore son passé et les raisons qui l’ont conduit là.

    Le récit est raconté à la première personne du singulier. Les chapitres alternent entre la vie en prison, au Canada, et le passé du prisonnier, à Toulouse, au Danemark et au Canada, formant ainsi comme deux récits qui vont se rejoindre. La fin du livre en étant leur confluent. Ce schéma permet de mettre en perspective les diverses étapes de sa vie et les raisons qui ont amené le narrateur à commettre l’acte condamnable qui l’a amené à être emprisonné.

    Les parties sur la vie en prison sont particulièrement réussies et le personnage du compagnon de cellule est très bien présenté grâce à de nombreux détails toujours bien documentés. Les parties sur l’histoire personnelle du personnage principal sont inégales, mais les personnages du père et de la mère, comme celui de la femme aimante, et celui du chien, ne sont pas sans intérêts.

    Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon est un roman qui dépeint habilement la crise existentielle d’un homme d’âge mûr, légèrement névrosé, dont la vie n’est ni extraordinaire ni banale et que les circonstances et aléas de l’existence ont amené à passer deux ans en prison alors qu’il était une personne somme toute sans histoire. Il retrace une vie d’hésitations, voire d’errance, une vie qui coule sans pour autant être facile, mais une vie dont le guide est la recherche de la liberté et de l’indépendance.

    J-P. Dubois est un écrivain constant (ses personnages se prénomment toujours Paul !), et on retrouve ici un certain nombre de points communs, comme les accidents d’avion. Ses livres sont agréables à lire, bien documentés et bien écrits, avec une pointe d’humour bienvenue. Son style est clair et facile, sans manière et efficace. Les histoires de J.P. Dubois sont « faciles à croire » !

    .....

    Eléments biographiques :

    Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façonJean-Paul Dubois est né en 1950 à Toulouse. Après des études de sociologie, il devient journaliste pour Sud-Ouest, puis grand reporter au Nouvel Observateur. Pour ce journal, il écrit une série d’articles sur les Etats-Unis. Il vit à Toulouse. Il a écrit 22 romans et a obtenu le Prix Goncourt en 2019 pour Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon.

    Extraits :

     Le type de cellule dans lequel je vis et surnommé un « condo », ce qui veut dire un « appartement ». Si l'on a affublé cet espace de ce vocable ironique, c'est parce qu'il est doté d'une surface légèrement supérieure au modèle standard, lequel parvient à comprimer ce qui reste en nous d'humanité dans quelque 6 mètres carrés.

    Deux lits superposés, deux fenêtres, deux tabourets scellés au sol, deux tablettes un lavabo, un siège de toilette.

    Je partage cet enclos avec Patrick Horton, un homme et demi qui s'est fait tatouer l'histoire de sa vie sur la peau du dos - Life is a bitch and then you die - et celle de son amour pour les Harley Davidson sur l'arrondi des épaules et le haut de la poitrine. Patrick est en attente de jugement après le meurtre d'un Hells Angels appartenant au chapitre de Montréal, abattu sur sa moto par ses amis qui le soupçonnaient de collaborer avec la police. Patrick était accusé d'avoir participé à cette exécution.

    .....

    C'est la vue de cette église enfouie, de cette épave de la foi, qui a donné à mon père la volonté de devenir pasteur. « Tu vois, je crois qu’à l'époque je n'avais aucune croyance, je ne savais même pas ce que ça voulait dire. J'ai ressenti une émotion purement esthétique devant ce spectacle unique, bouleversant, que tu ne vois qu'une fois dans ta vie. Une vraie toile de l'école de Skagen. Si ce jour-là, à cet endroit j'avais vu une gare ensablée dont le seul pignon et l'horloge étaient encore visibles, peut-être que par la suite je serais devenu cheminot. » Tel était mon père, bor inde i landet sans doute, mais conscient de devoir sans cesse naviguer dans la permanence du doute, tantôt attiré par la fragile voilure d'une église abandonnée, tantôt séduit par la vie robuste et aventureuse des chemins de fer.

    .....

    Anna Margerit était née à Toulouse. Ses parents que je n'avais jamais connus exploitaient un petit cinéma, modestement baptisé Le Spargo - du latin « je sème » -, crédité à l'époque du tout nouveau label « art et essai », et où l'on ne présentait par la suite que des films dits nobles comme Les Gauloises bleues, Blow up, Théorème, ou Zabriskie Point. Imprégnée dès l'enfance par toutes ces images, élevée au cœur de ces génériques interminables, de ces musiques prégnantes, de ces baisers outrés et de ces drames abscons, ma mère était devenue une encyclopédie cinématographique, connaissant tous les recoins, tous les interstices de ce monde, capable de citer le monteur d'un Pabst, le compositeur d'un Hawks, ou l’éclairagiste d’un Epstein. D’une manière générale, elle s'intéressait davantage aux métiers du cinéma, aux fabricants, aux réalisateurs, aux producteurs, qu’au savoir-faire trop prévisible des acteurs.

    .....

    Winona représentait à mes yeux le formidable condensé de deux mondes anciens. De sa mère irlandaise, elle tenait cette force de brasser la terre à l'égal de la vie, déblayant les obstacles comme si chaque jour était à faire de ses propres mains. Joyeuse, heureuse, d'une loyauté sans défaillance, elle avait de surcroît cette défiance héréditaire à l'endroit de l'Anglais. De sa part autochtone elle avait retenu cette capacité à s'intégrer dans le monde intangible, à faire corps avec lui, lisant les messages du vent, les rideaux de la pluie, écoutant grincer les arbres. Elle avait grandi dans le corridor des légendes, ces histoires édifiantes qui refaçonnaient l’origine des temps, qui disait que les loups avaient appris aux hommes à parler, qu'ils leur avaient enseigné l'amour, le respect mutuel et l'art de vivre en société. Et aussi les ours. Et les caribous. Ils étaient nos ancêtres comme les aigles, et les arbres de la forêt, les herbes de nos prairies. Nous mangions tous cette même terre et, le moment venu, elle aussi nous mangerait.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :