• Les invisibles

    N°343

    Roy JacobsenLes invisibles

    De usynlige

    Traduit du norvégien par Alain Gnaedig

    2013, Gallimard 2017, folio 2019

    299 pages

    Sur la petite île de Barrøy, en périphérie de l’archipel des Lofoten, vit une seule famille : les Barrøy. Elle est composée du grand-père, du fils et de sa femme, de la fille un peu sotte, et de la petite fille qui a cinq ans au début de l’histoire. Elle vit isolée du monde, à quelques milles de l’île voisine, ne recevant que de temps en temps une visite, en plus du bateau qui vient régulièrement chercher le lait et les poissons séchés.

    Les invisibles décrit le quotidien de cette famille sur une période d’une quinzaine d’années, au fil des drames, des joies et des peines qui rythment de façon hasardeuse la vie de cette minuscule communauté. La fille grandit, arrive le temps pour elle d’aller à l’école, en pension au village le plus proche, puis de trouver un emploi dans une famille riche. Il y a des naissances et des décès, des maladies. Il y a des tempêtes et des saisons sans poisson. Il y a l’isolement, l’ennui, la grande nature, le froid, la mer fougueuse, source de vie et de mort. Il y a la vie frustre, basique, une sorte survie, mais aussi un bonheur sauvage et la liberté.

    R. Jacobsen raconte cette vie sur une île dans le style d’un conte naturaliste. Il décrit les activités journalières avec un grand soin, les quelques évènements qui vont changer le cours de cette famille avec brutalité, la nature omniprésente avec une grande poésie mystérieuse. Alors que Les invisibles parle de quotidien très réel, le style de R. Jacobsen apporte une sorte de distanciation poétique qui fait penser aux romans de l’Islandais Jón Kalman Stefánsson, en particulier Le Cœur de l’homme (une semaine un livre n° 39).

    Les invisibles est un livre fort et dur, souvent déroutant par le mélange de poésie et de naturalisme, ainsi que par son rythme imprévisible.

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    Eléments biographiques :

    Les invisiblesRoy Jacobsen est né en 1954 à Oslo. Après une adolescence tumultueuse – il fait un mois de prison à l’âge de 16 ans pour appartenance à un gang – il fait nombre de petits boulots jusqu’en 1982, date à laquelle son premier roman est publié. Rapidement il connait du succès et devient romancier à partir de 1990. Il a obtenu de nombreux prix comme le Prix Tarjei Versaas (du nom du célèbre écrivain norvégien (1897 – 1940) pour son premier roman. Il est membre de l’Académie norvégienne de langue et de littérature. Il a publié 22 livres dont seulement trois sont traduits en français.  

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    Extrait :

    Ingrid est la seule à ne pas couper la tourbe, elle est trop petite, elle retourne les briques et les met sur la tranche comme des dominos inclinés, pour que le vent passe entre elles et les fasse sécher, ce vent de terre qui souffle sur l'île depuis des jours, et qui mollit soudain.

    Ils s'en aperçoivent tous en même temps.

    Ils s'arrêtent dans leur ouvrage, lèvent la tête, se dévisagent et tendent l'oreille.

    Soudain, on n’entend même plus de cris d'oiseaux. Plus de sifflements dans l'herbe. Plus de bruissement d'insecte. La mer est lisse, le clapot entre les rochers du rivage cesse, il n'y a pas un bruit entre les horizons, comme s'ils étaient à l'intérieur.

    Un tel silence arrive très rarement.

    Et ce qu'il y a de plus particulier encore, c'est qu'il se produise sur une île. Sur une île, le silence est plus brutal que celui qui peut s'abattre sur la forêt, sans prévenir. La forêt est souvent silencieuse. Sur une île, il y a si rarement du silence que les gens s'arrêtent net, regardent autour d'eux et se demandent ce qui se passe. Le silence les étonne. Il est mystérieux, presque chargé d'espoirs, c'est un étranger sans visage vêtu d'un manteau noir qui arpente l’île à pas feutrés. Sa durée varie salon les saisons, le silence peut durer longtemps dans le gel de l'hiver, comme lorsqu'il y avait de la glace autour de l'île, mais celui de l'été et toujours comme une petite pause entre un souffle de vent et un autre, entre le flot et le jusant, ou pendant ce miracle qu’est l’instant où l'homme cesse d'inspirer avant d'expirer.

    Et puis soudain, une mouette pousse à nouveau un cri, une nouvelle rafale de vent surgit de nulle part et le nouveau-né se réveille et crie sur sa peau de mouton. Ils reprennent alors leurs outils et recommencent à travailler comme si de rien n'était. Car c’est précisément ce qui s'est passé : rien. On parle de calme avant la tempête, on dit que ce calme est un avertissement, un signe précurseur. Il peut signifier quelque chose dont on ne saisira la portée qu’après avoir longtemps cherché dans la Bible. Mais le silence sur une île n'est rien. Personne n'en parle, nul ne s'en souvient, tellement il marque les esprits. C'est l’infime aperçu de la mort tant qu'ils sont encore en vie.


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