• Le traquet kurde

    N°375Le traquet kurde

    Jean Rolin

    P.O.L. 2018, folio 2020

    153 pages

    Le traquet kurde est un passereau du Moyen-Orient, plutôt rare, sauf dans cette partie du monde entre la Turquie, la Syrie et l’Irak où il vit dans la montagne. Un ornithologue part à la recherche de l’oiseau quand il apprend qu’un individu a été observé au sommet du puy de Dôme.

    Cette recherche le conduit aussi bien dans l’histoire de l’observation des oiseaux, que sur l’île d’Ouessant où passent les migrateurs, et bien sûr au Kurdistan en guerre. Jean Rolin s’intéresse autant à la façon dont on pratiquait l’ornithologie au début du XXe siècle qu’à la présence de l’oiseau dans un champ de bataille au début du XXIe siècle. Il apporte une documentation complète sur des explorateurs comme Richard Meinertzagen ou St John Philby, tous deux compagnons du célèbre T.E. Lawrence ; il décrit les méthodes scientifiques de cette époque, qui utilisaient plus le fusil que les jumelles, et dépeint au passage la mentalité brutale des occupants de la région. Il raconte minutieusement ses observations de l’oiseau (lui-même en ornithologue chevronné !) et ses voyages pour aller sur les biotopes qu’il occupe.

    Ce livre de Jean Rolin fait indubitablement penser aux livres de Patrick Deville (Kampuchéa, une semaine un livre n°29, ou Équatoria n°33) : l’écrivain qui se met en scène dans ses recherches historiques, dans les voyages qui le conduisent vers ses objectifs. Jean Rolin le fait avec moins de verve, de façon plus intime. Il en résulte un texte à plusieurs entrées : l’oiseau, l’histoire de l’oiseau, celle de ceux qui veulent voir l’oiseau, celle de l’écrivain qui raconte tout ça… passant ainsi des éléments factuels aux approches intimistes.

    Jean Rolin dresse ainsi une sorte de portrait de la zone kurde à travers une espèce d’oiseau. Il touche à l’histoire et à la géographie, à la politique aussi bien sûr, tout cela habilement et de façon très personnelle.

    Le traquet kurde ne se rapproche ni de Savannah ni de La frontière belge (une semaine un livre n°256) Il montre que l’art de Jean Rolin est éclectique, toujours maîtrisé et permet d’approcher des sujets forts de manière tout à fait personnelle et originale.

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    Éléments biographiques

    Le traquet kurdeJean Rolin est né en 1949 à Boulogne-Billancourt. Après une enfance passée en grande partie au Congo et au Sénégal où son père était médecin militaire, il entre à Paris pour continuer ses études au Lycée Louis-le-Grand. Il devient militant de la gauche maoïste. Journaliste à partir de 1973, il travaille pour Libération, Le Figaro, L'Événement du jeudi, Lui, Le Monde ou encore Geo. Parallèlement il écrit des chroniques, des romans ou des récits de voyage. Il a publié 32 livres.

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    Extraits :

    Toujours d'après Monroe, Bates et Philby, à eux deux, tuèrent et préparèrent plus de cinq cents spécimens, dont Bates devrait offrir les dépouilles au British Muséum. De son côté, Garfield écrit qu'en comptant celles que Philby adressa à Bates après le retour de celui-ci en Angleterre, c'est d'environ deux milles peaux qu’ils enrichirent les collections du musée. Ce qui est avéré, d'autre part, c'est que l'exemple de Bates, âgé lors de ce séjour en Arabie de soixante-dix ans, accrut notablement l'intérêt de Philby pour l'ornithologie en général, et pour la collecte de spécimens en particulier. Et ce qu'il ne l'est pas moins, c'est qu’à la mort de Bates, survenue en 1940, Philby possédait une copie de ses travaux, inachevés, sur les oiseaux d'Arabie. Mais dans cette même année qui voit Bates mourir, Philby, hélas, ne se contente pas de marcher sur ses traces, et de parcourir le désert en dépouillant des oiseaux, il passe aussi du temps à la cour d’Ibn Saoud, et il tient en sa présence des propos si contraires aux intérêts de l'Angleterre, et si favorables à ceux de l'Allemagne, que de fil en aiguille c'est dans une prison britannique qu'il se retrouve d'abord à Liverpool, puis à Ascot, d’où il ne sera élargi qu'en mars de l'année suivante.

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    Lorsque la chaleur fut un peu moindre, nous avons repris notre ascension le long de la piste, Muhammad Saddik et moi, jusqu'au premier névé, croisant en chemin une petite troupe de bouquetins, observant successivement une iranie à gorge blanche et quelques traquets oreillards, puis enfin, perché sur la crête d'un long affleurement rocheux, un oiseau qu’à ses joues noires, son dos beige, son sourcil blanc et son ventre également blanc, mais distinctement teinté de roux à la base de la queue, celle-ci noire et blanche une fois déployée, nous avons reconnu sans risque d'erreur comme un spécimen de traquet kurde, le premier qu'il m'a été donné de voir dans la nature. Peu après, à la limite du grand névé que nous nous étions fixé pour but, et à une altitude estimée par Muhammad Saddik à 1926 mètres, nous avons observé plus longuement, et de plus près, un autre mâle de la même espèce, qui comme le précédent voletait de rocher en rocher, sur une pente encore partiellement enneigée et irrégulièrement plantée de buissons épineux, à petites fleurs roses, que sans trop savoir j'identifiai comme une variété moyen-orientale d'églantier. La scène aurait été parfaite si la compagnie pétrolière qui avait frayé cette piste n’avait abandonné on se retirant quelques épaves, et en particulier, au niveau où nous nous trouvions, une batterie de trois chiottes montés sur pilotis, d'une blancheur lustrée de réfrigérateur ou de machine à laver, désormais privés d'eau, mais encore utilisable pour l'un d'entre eux. De l'intérieur de celui-ci, qui comme les deux autres était privé de porte, on jouissait de la vue la plus belle, et la plus étendue, qu’il ait été donné à quiconque d'embrasser dans une telle situation.


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