• Le Général de l'armée morte

    N°370Le Général de l'armée morte

    Ismail Kadaré

    Traduit de l’albanais par Jusuf Vrioni

    1967, Albin Michel 1970, Le Livre de Poche 2019

    318 pages

    Un général part en mission en Albanie pour y récupérer les dépouilles des soldats morts pendant la guerre, une vingtaine d’années auparavant. Bien que ce ne soit jamais explicite, le général est probablement italien, et la guerre celle de 1939 – 1945. Il est accompagné d’un prêtre, d’un expert albanais et d’une équipe de fossoyeurs.

    Ce groupe parcourt le pays à la recherche de cimetières et de tombes dans les montagnes et campagnes qui furent le théâtre des batailles. Ils vont de rencontres en rencontres, avec des bonnes et des mauvaises surprises.

    Avec Le Général de l’armée morte, à partir de ce scénario original et à travers une série de situations souvent cocasses, Ismail Kadaré offre une description, en creux, du peuple albanais rural dans les années soixante. Un peuple taciturne, plutôt violent, sujet au drame et au mystère.

    Premier roman de cet écrivain très prolifique, il est déjà empreint de poésie. Le général passe par des périodes de rêves ou de phantasmes, il voit le monde à travers son propre prisme, comme le voit l’enfant dans Chronique de la Ville de pierres (une semaine un livre n°363).

    Lire Ismail Kadaré, c’est se plonger dans un univers particulier dans lequel la poésie est au service de la politique en la cachant dans les mots. C’est un double plaisir de lecture, et la démonstration permanente que la littérature ne peut être muselée tant elle a de possibilités et de capacités à sortir du réel tout en le décrivant.

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    Éléments biographiques

    Le Général de l'armée morteIsmail Kadaré est né en 1936 dans le Sud de l’Albanie. Il étudie la littérature à l’université de Tirana et à l’Institut Maxime-Gorki de Moscou. Avec la rupture des relations entre l’Albanie et l’Union soviétique en 1960, il doit rentrer en Albanie. Il débute alors une carrière de journaliste et commence à écrire. Il publie d’abord des poèmes. Le Général de l’armée morte, version 1963, est son premier roman. Il lui apporte immédiatement une certaine renommée. Mais en 1967, l’Albanie entame sa révolution culturelle et Ismail Kadaré va passer deux ans dans un village des montagnes du Sud du pays. Il n’en continue pas moins de lutter contre le totalitarisme. Il est mal vu dans son pays et ses textes sont interdits mais il est accueilli très favorablement à l’étranger. Il est envoyé à nouveau à la campagne mais il continue d’écrire. Il est qualifié d’ennemi par le régime et s’exile en France en 1990. Il a publié 53 romans, de nombreuses nouvelles et des recueils de poésie.

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    Extraits

    Le général reprit sa discussion avec le prêtre.

    « Vous expliquez la question des coutumes, dit-il, en vous fondant uniquement sur des facteurs psychologiques, mais je crois qu'on ne peut tout de même en exclure certains motifs objectifs, d’ordre historique et militaire. Savez-vous à quoi ce peuple me fait penser ? À l'une de ces bêtes sauvages qui, à l'approche d'un danger, avant de bondir, restent immobiles, dans un état de tension extrême, muscles bandés, les sens en alerte. Ce pays, me semble-t-il, a été en butte à bien des périls et cet état d'alerte est devenu pour lui une seconde nature.

    – C'est justement ce qu'il désigne par le mot vigilance », dit le prêtre.

    Il continua, mais le général ne l'écoutait plus.

    « J'ai l'impression que nous parlons beaucoup d’eux, lâcha-t-il enfin, alors que leurs affaires nous importent peu. Libre à eux de s'entretuer, et aussi vite qu'il leur plaira ! »

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    « Savez-vous pourquoi je me suis querellé avec le prêtre ? dit-il dans un râle comme s'il remontait d'un puits.

    – Non, dit le lieutenant général.

    – À cause d'un squelette. Il nous manque un squelette d'un mètre quatre-vingt-deux.

    – La belle affaire ! » fit l’autre.

    Et il releva brusquement la tête avec une lueur dans les yeux.

    « Un mètre quatre-vingt-deux ? Voulez-vous que je vous en vende un, de cette taille-là ?

    – Non, fit le général.

    – Pourquoi pas ? J'en ai un tas. Je vous en offre un, à prix d'ami, pour cent dollars seulement.

    – Non !

    – Mais j'en ai une foultitude de cette taille-là ! J'en ai même d'un mètre quatre-vingt-douze, si vous voulez. Et de deux mètres, aussi. Et même de deux mètres quinze ! Nos soldats étaient plus grands que les vôtres. En voulez-vous ?

    – Non, fit le général. Je n'en veux pas. »

    Le lieutenant-général haussa les épaules.

    « C'est votre affaire. J'aurais fait mon possible. »


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