• Le Condottière

    2018-28

    Georges PEREC

    Le Condottière

    Livre exposé à la bibliothèque. Pour sortir de l'Iran, et pour Antonello da Messina.

    Le Seuil 2012

    203 pages

    Paul Burgelin présente dans la préface ce premier manuscrit de Perec, refusé dans les années 50 par les éditeurs, qui jouit ici de sa première édition posthume.

    Gaspar Winckler, un peintre spécialisé dans le faux, tue son commanditaire, Anatole Madera, qui lui avait demandé de reproduire un tableau peint par Antonello da Messina, en 1475. Le récit est fait en deux parties par Gaspard, le je narrateur : d'abord l'assassinat, une fois la crime accompli – le livre commence par : « Madera était lourd » proféré par Winckler alors qu'il cherche à déplacer le cadavre – l'assassin tout en revenant sur l'acte meurtrier lui-même, cherche à monter un plan pour quitter la maison où est installé son atelier, qu'il appelle le laboratoire, dans une demeure de Dampierre appartenant à Madera, et cela sans se faire prendre par un garde menaçant, répondant au nom d'Otto. Dans la seconde partie, on comprend qu'il a donc réussi à s'échapper, sans que l'on sache exactement comment, qu'il n'est pas recherché par la police et qu'il se trouve quelque part, chez son ami Streten, avec lequel il tente, au cours d'une longue conversation, de revenir sur son passé, de démêler le pourquoi de son acte, afin de savoir qui il est.

    Le livre est écrit dans un style artificiel, défaut de débutant qui, dans l'immodestie de ses ambitions, voudrait marquer la littérature et se cherche une manière qui bouleverse à jamais le paysage des lettres. C'est très maniériste, avec beaucoup d'auto-interpellation (tu), de déterminations répétitives et de coquetteries fastidieuses tout au long du livre. Citons un exemple : « Peut-être chercher dans les choses et dans les êtres, dans les regards et dans les mouvements l'évidente nécessité de la victoire. Peut-être. Peut-être pas peut-être. Peut-être sûrement. Sûrement sûrement. » (202). Et la deuxième partie n'est qu'un faux dialogue, Gaspard soliloquant tandis que Streten pose de fausses questions destinées à relancer la narration. C'est relou, très lassant et ça laisse l'impression de tourner en rond. Georges Perec (1936-1982), résolument contre la psychologie, s'est fait connaître par les Choses (1965) qui dressait un tableau de la génération matérialiste d'après-guerre, par la Disparition (1969) livre entièrement écrit sans l'utilisation de la lettre « e ».  Il faisait partie de l'Oulipo, Ouvroir de la littérature potentielle, auquel appartenaient aussi Queneau et Calvino.

    Curieusement, Perec, du superbe portrait – un des petits (36,4 x 30) tableaux les plus sublimes du maître sicilien qui se trouve au Louvre – d'un homme non identifié, qu'une cicatrice à la lèvre supérieure a fait nommer Il condottiero, Perec omet d'une description à l'autre, une caractéristique qui me paraît centrale, et qui d'ailleurs occupe le centre la toile : la bouche. Le condottière a une bouche lippue, qui atténue la fermeté du visage et y introduit une touche de sensualité boudeuse, voire de veulerie. On l'imagine vieilli, avec cette lèvre inférieure laissant passer de la bave. L'auteur n'a pas été sensible à cette dimension du portrait. Le portrait figure en couverture, et c'est pour le peintre que j'ai pris le livre de Perec.

    Citation

    « Absurdes et contradictoires, parce que exprimées justement avec cette technique à laquelle n'aurait dû correspondre qu'une certitude sans ambiguïté, toutes les contradictions du monde semblaient s'être donné rendez-vous dans ce visage-miroir. Ce n'était plus un chef de guerre regardant, au-delà du peintre, le monde avec toute l'ironie, toute la cruauté, toute l'impassibilité d'une conscience parfaitement adéquate, ce n'était plus un peintre ressemblant, au-delà de son modèle, dans une organisation immédiate, toute la stabilité, éternelle et rationnelle d'une Renaissance, c'était le double, le triple, le quadruple jeu d'un faussaire pastichant son pastiche, dépassant son pastiche, ne retrouvant, à travers son modèle, au-delà de son savoir, au-delà de son ambition, que la trouble équivoque de son propre regard. L'impassibilité était devenue panique, la tension décontractée des muscles était devenue rictus, l'assurance du regard était devenue défi, la fermeté de la bouche était devenue vengeance. (…) Dans le laboratoire abandonné, l'échec avait été total. »  p. 108-109


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