• Layla et Majnun

    2018-41

    NEZÀMI

    Layla et Majnûn

    Traduction d'Isabelle de Gastines

    Fayard 2017

    273 pages.

     

    C'est à la demande d'Akhsatân ben Manûtsher, roi de Shirvân, que Nezâmi (1140-1217) adapta une légende d'origine préislamique, sur les amours du poète bédouin Qays ibn al-Moullawwah pour sa cousine Layla, et écrivit Layla et Majnûn (1188-1189).

    Si la traductrice nous fait grâce des invocations pieuses à l'éloge du Prophète, elle garde tous les autres exercices de style incontournables à l'époque de Nézâmi, textes portant tour à tour sur la composition, sur l'éloge du roi, sur la fidélité de l'auteur envers ce dernier, ainsi que sur des considérations morales. Dans ces derniers textes, qui tous se terminent par un appel à l'échanson et un éloge du vin et de l'ivresse, nous trouvons toutes les affirmations et leur contraire, par exemple la demande de Nézâmi, adressée au fils du roi, d'une pension pour son propre fils (29), contredite par un développement sur le fait de « s'abstenir du service des rois » (52) ou encore l'exhortation à ne pas endurer l'humiliation (51) infirmée par l'injonction à ignorer l'injure (55), sans trop savoir de quel côté penche l'auteur, si tant est qu'il faille pencher... Ce n'est qu'après une dernière considération morale, « Dans la solitude de se mettre à composer » (57) que l'auteur passe à « Ici commence l'histoire » (58).

    Qays, à la seule vue de sa cousine Layla, en tombe éperdument amoureux et est payé de retour. Mais, la violence de l'amour le dépossède de lui-même ; obsédé par Layla, il se met à errer et se voit traité de fou, « majnûn ». Son père, bienveillant, pour lui apporter la satisfaction demande la main de Layla à son père. Ce dernier la refuse en s'appuyant sur l'extravagance du comportement de celui qui est devenu le fou, pour accorder sa fille à Ibn Salâm.  Bien que le mariage ne soit jamais consommé et qu'il le sache, Majnûn persiste dans son errance douloureuse, et ses seuls alliés deviennent les bêtes féroces, des lions aux vautours, qui les protègent et en font un maître de la terre. Il refuse tous les secours : celui de Nawfal qui livre bataille contre la tribu de Layla, celui de son père, celui de sa mère, et à la mort de ces deux derniers, Majnûn confond sa douleur filiale avec sa douleur amoureuse. Ibn Salâm meurt, Layla aussi, bientôt suivie par Majnûn.

    La traductrice respecte les distiques farsis et donne un texte rythmé et aéré, d'où émergent, malgré le côté répétitif, de très beaux passages poétiques. Il nous est impossible de dire ce qui touche le lecteur iranien, tant rien n'est plus difficile à passer dans une traduction que la poésie. Mais, le lecteur occidental peut en retirer l'idée que la seule façon pour la passion amoureuse de durer est de ne pas être « aboutie », selon le terme de la traductrice, l'assouvissement du désir amoureux équivalant à sa destruction. 

    Citation. 

    « Le vieil homme meurtri prit cette direction ;

    un jour entier il courut jusqu'à cet endroit.

    Il le vit, non tel que ses yeux eussent souhaité :

    à ce qu'il vit, le cœur lui manqua.

    Il vit une âme ayant perdu la forme humaine,

    un squelette dessous la peau tendue ;

    Un vagabond errant hors du monde de l'être,

    soustrait aux regards sur la voie de l'idolâtrie ;

    Attaché sous le joug du phantasme,

    échappé d'un cheveu au gouffre de la mort ;

    À la surface du sol courant plus vite qu'un chien,

    dessous terre, plus occulte que les êtres souterrains ;

    De son corps, cette marmite, le bouillonnement éteint,

    ses jambes ne le portant plus, la raison partie ;

    Pareil au serpent, anneau sur anneau lové ;

    ayant rejeté au loin turban et bonnet ;

    Pour vêture quelques empans de peau et de bête

    autour des reins tournés en guise de pagne.

    Doucement le père approcha et s'assit ;

    de la main il lui caressa tendrement la tête. »

    p. 158


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