• L'enquête

    2018-52

    L'enquêteLivre emporté pour accompagner un voyage d'un mois en Iran, terminé au retour parallèlement à d'autres lectures.

    HÉRODOTE

    l'Enquête

    Texte présenté, traduit et annoté par A. Barguet

    La Pléiade 1964

    654 pages, notes p. 1341 à 1520.

    Le recueil, regroupant les œuvres complètes d'Hérodote (480-425) et de Thucydide d'Athènes (460-395), jouit d'une introduction commune faite par Jacqueline de Romilly (p. I à XXVII).

    L'objet des « Histoires » d'Hérodote - divulguées petit à petit, l'auteur ne les intitula l'Enquête qu'après avoir considéré qu'il avait terminé son ouvrage- est la narration des guerres, dites médiques, qui débutèrent par la révolte des cités asiatiques contre la domination perse et opposèrent les Grecs aux Perses. Hérodote s'attarde davantage sur les expéditions de Darius et de Xerxès, la prise de Sestos (479, un an après la naissance d'Hérodote à Halicarnasse) marquant la défaite des Perses : les historiens considèrent que l'expansion perse est désormais contenue, même s'il faut attendre Alexandre III pour que la grande rivalité cesse.

    La narration d'Hérodote n'est pas linéaire, mais fonctionne sur le principe des poupées russes : il interrompt le récit d'un conflit pour donner toutes les informations qu'il possède sur la fondation d'un pays ou d'une cité, sur tel grand chef de guerre, puis interrompt cette narration-là pour décrire les coutumes de l'endroit où celui-ci guerroie, qui peuvent être interrompues à leur tour par l'introduction d'un autre personnage sur lequel il convient de réunir tout ce qu'il sait, etc... Donc, pour qui n'est pas spécialiste des guerres médiques, le récit est très difficile à suivre : les personnages présentés seraient aux alentours de deux milles, des personnages dont la vie a fait l'objet d'un récit complet, réapparaissent cent-cinquante pages plus loin, la difficulté se corsant avec les noms des grands-pères donnés au petit fils : Miltiade, fils de Cimon, fils de Mildiate (p.457). Donc à moins d'être soi-même historien spécialiste de cette période, on ne sait jamais où on en est...

    L'intérêt réside ailleurs. D'abord, Hérodote remontant parfois jusqu'à une époque très ancienne, nous donne une masse d'informations énorme qui couvre vingt-cinq siècles sur cette partie du monde. Hérodote s'intéresse à tout et ne considère rien comme négligeable. Nous apprenons ainsi qu' « Il est vrai qu'en Lydie toutes les filles se prostituent pour gagner leur dot (…) elles choisissent elles-mêmes leur mari. » (91), que les Éthiopiens étaient déjà à l'époque considérés comme des êtres d'une grande beauté (227) ; il s'attarde sur les plantes qui apparaissant lorsque le Nil se retire et sur leur usage, ou encore sur les multiples façons de faire passer des messages à travers les lignes ennemies, dont la moins curieuse n'est pas de raser la tête d'un esclave fidèle, d'y tatouer le message secret, et une fois ses cheveux repoussés de l'envoyer porter le message (371). Il nous décrit aussi avec force détails techniques l'habitat des différents lieux ou les grands travaux entrepris : construction navale, ponts, canaux, digues, etc... Un autre point très intéressant du livre, c'est la méthode. Bien sûr l'Enquête est truffée d'inexactitudes, et Hérodote ne dépasse pas certaines limites de son époque. Il a une vision d'une terre plate et d'un monde fini centré autour de la Méditerranée. Il attache de l'importance aux oracles (surtout celui de Delphes), aux présages, aux prodiges, aux coïncidences, aux songes, même si on trouve une théorie moderne des rêves exprimée par l'oncle de Xerxès, Artabane : « Mais il n'y a rien là, mon enfant qui viennent du ciel ! Les rêves qui hantent les hommes je vais te dire ce qu'ils sont, moi qui ai tant d'années de plus que toi : ce que l'on voit en rêve, c'est d'ordinaire ce qui nous préoccupe dans la journée. » (470). Une fois posées ces restrictions, on constate qu'Hérodote est en rupture totale avec les généalogies de héros qui faisaient bien souvent l'histoire jusqu'alors et qu'il ne rapporte que ce qu'il sait de source sûre, a vu, a entendu ; il cite ses sources, il souligne les on-dit et précise s'il y adhère ou non. Les savants ont relevé son immense apport à l'histoire. Sans compter la modestie et la modernité du titre : l'Enquête.

    Enfin, dernier point qui rend ce livre si attachant, c'est qu'Hérodote nous livre une vision du monde, ce en quoi il croît. Il déplore les guerres et en attribue la cause à la démesure des hommes, à leur désir de vengeance ; il voudrait que le droit, la loi, remplace la force. Son livre est une attaque en règle de la tyrannie et un véritable plaidoyer pour la liberté (387, entre autres).  Ajoutons que c'est très bien écrit, et traduit, et que le récit, bien que discursif, reste fluide.    

    Citation.

    «Les Perses ont, je le sais, les coutumes suivantes : ils n'élèvent aux dieux ni statues, ni temples, ni autels, et traitent d'insensés ceux qui leur en élèvent ; (…) Ils sacrifient encore au Soleil, à la Lune, à la Terre, au Feu, à l'Eau et aux Vents : ce sont les seuls dieux auxquelles ils aient de tout temps sacrifié ; mais ils ont appris des Assyriens et des Arabes à sacrifier à l'Aphrodite céleste : cette déesse se nomme (…) chez les Perses Mitra.

         (...) 

    Les Perses sont le peuple le plus ouvert aux coutumes étrangères. En particulier, ils ont jugé le costume des Mèdes plus beau que le leur et l'ont adopté, ainsi que la cuirasse des Égyptiens pour la guerre. Ils cultivent tous les genres de plaisirs dont ils entendent parler ; c'est ainsi qu'ils ont appris des Grecs l'amour des garçons. Ils ont chacune plusieurs épouses légitimes et achètent des concubines en plus grand nombre encore.

    Ils jugent le mérite d'un homme d'abord à sa valeur guerrière, puis au nombre de ses fils (…)

    Il ne leur est même pas permis de parler de ce qu'ils ne doivent pas faire. La faute la plus honteuse est pour eux le mensonge, et, en second lieu, les dettes, parce qu'entre autres raisons, disent-ils, l'homme qui a des dettes en arrive inévitablement au mensonge. (…) Ils n'urinent pas et ne crachent pas dans une rivière, ils ne s'y lavent pas les mains, ils ne laissent personne le faire, et ils ont la plus grande vénération pour tous les cours d'eau. (…)

    Voilà ce que je puis dire sur eux en toute certitude, parce que je le sais. Et voici maintenant, sans que je ne puisse rien affirmer, ce que l'on dit sur les rites funèbres. » Coutumes des Perses I (131à 140), p. 106-110.


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