• L'âge des low tech

    2018-49

    L'âge des low techChemin : après avoir lu le livre de Corentin de Chatelperrron, Nomade des mers. Le tour du monde des innovations, qui présente la mise en application de low tech – un bricolage parfois très sophistiqué pour des réalisations allant du désalinisateur solaire à l'élevage de grillons comestibles, en passant par l'éolienne 20 watts - pour remonter à la source, j'ai pris ce livre à la bibliothèque.

    BIHOUIX, Philippe

    l'Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable

    Seuil Coll. Anthropocène 2014

    330 pages.

    Philippe Bihouix structure son livre en quatre actes, précédés d'un prologue et suivis d'un épilogue. Le titre du prologue, « La folle valse des crevettes » - pêchées au Danemark, décortiquées au Maroc avant d'être envoyées à travers le monde - donne le ton.

    Le premier acte fait un état des lieux des ressources non renouvelables consommées (énergies fossiles et métaux), établit l'impuissance de la technique - qui jusqu'ici a toujours trouvé une solution, en inventant, pour faire face à la pénurie - devant la finitude (bientôt pénurie pour le cobalt, lithium, etc...) et fustige les « thaumaturges » qui prétendent redresser la barre à l'aide de solutions audacieuses qui ne sont que de la poudre de perlimpinpin : il montre les limites de la croissance verte ( panneaux solaires, voitures électriques) et de l'économie circulaire, quand bien même seraient-elles menées avec efficacité, ce qui est loin d'être le cas actuellement (on ne récupère aucun des métaux rares utilisés pour la fabrication d'une voiture : compressée, sa carcasse sert de métal pour le bâtiment, dans le meilleur des cas). Nous nous trouvons donc dans une triple impasse : l'impasse des ressources (dont la consommation d'espace), l'impasse de la pollution qui provoque le changement climatique et une impasse sociale (inégalités) et morale (continuer à faire ce qui nous détruit...)

    L'acte deux pose les principes des basses technologies et de la production durable (notion datant de 1987, Rapport Bruntland), sous la tutelle d'un maître mot : la réduction. Réduire la natalité, réduire la consommation, réduire la mobilité – donc relocaliser -, réduire la vitesse de déplacement, réduire la technicisation, la robotisation. Bref cesser de gaspiller (¼ de la nourriture produite en Europe finit à la poubelle, ou encore le zinc à jamais perdu dans les pâtes dentifrices pour qu'elles demeurent blanches), économiser, et « réhumaniser », surtout dans le secteur tertiaire. Le troisième acte tente de projeter ce que serait la vie quotidienne au temps des basses technologies, et l'auteur en profite pour nous faire des propositions amusantes (dans chaque cour d'immeuble, un cochon confié aux bons soins des gardiens, quand la poubelle disparaîtra 251), avant que le quatrième ne pose la question qui nous taraude tous : « la transition est-elle possible ? » Bihouix répond oui, si on s'engage vers une mutation culturelle et morale, qui brise définitivement l'échelle de valeur sociale en cours (la prééminence des cols blancs sur les cols bleus) et adopte un critère d'utilité : qui du trader ou du plombier est utile à la société ? (cf. Matthew B. Crawford et son Éloge du carburateur. 2016-17).

    Centralien, spécialiste des ressources minières – et c'est dans ce domaine qu'il est le plus passionnant- Bihouix rappelle que la sonnette d'alarme a été tirée en 1972 dans le rapport Meadows, Les limites de la croissance dans un monde fini, commandé par le Club de Rome à des chercheurs du Massachussetts Institute of Technology (note). Son livre envisage la question dans tout ce qu'elle implique et s'appuie sur toutes les disciplines : l'histoire avec, par exemple, son analyse comparative entre Adam Smith qui recherchait le gain de productivité et Ford qui s'intéressait surtout au gain de rentabilité (148),  l'économie, finance (retour sur investissement comparé entre extraction du pétrole en onshore, offshore ou dans les sables asphaltiques) ou production (industries de procédés/industries de réseaux), la démographie, etc... Il montre la complexité du changement auquel nous devons faire face, en ne voulant passer sous silence aucun des problèmes qu'il soulève, car il s'agit évidemment d'un changement de système. Il semble pencher pour des mises en place prudentes et progressives, sans aucune tentation pour la table rase. Mais, il nous laisse tout de même entendre que soit on s'y met, ici et maintenant, soit..., soit..., soit... Mais vous le savez bien et nous le savons tous !

    « Chéri, qu'est-ce qu'on fait ce soir ? Tu m'amènes dîner en terrasse au Café de l'Esplanade ? J'ai pas tiré sur la clope de la journée, j'suis en manque.

    - Mais prends quand même une fourrure ma puce ! »

    Note.  

    Un an auparavant, Maurice Pasquelot avait dressé un bilan de l'agriculture sous perfusion chimique, dans son livre la Terre chauve.

    Citation.

    « Sans compter que beaucoup trop de puissants et de privilégiés de toutes sortes, qui contrôlent le système, ont à y perdre, et beaucoup plus que le citoyen moyen ou les populations les plus exploitées, au Nord comme au Sud. Le système oligarchique fera donc tout pour se maintenir, jusqu'à saturation, quitte à guerroyer toujours plus dans les pays riches en ressources et à saccager l'environnement jusqu'à l'extrême. L'apparition de techniques aux rendements ridicules, hier les sables asphaltiques de l'Alberta, au Canada, les agrocarburants des zones tempérées ou les panneaux photovoltaïques dans les zones nordiques, et demain des pétroles de schistes, en est le signe avant-coureur et la confirmation que le système ne reculera devant aucune absurdité et aucune barbarie pour survivre. » p. 278-279.


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