• Boussole

    2018- 36

    BoussoleENARD Mathias

    Boussole

    Actes Sud, 2015

    378 pages

    La boussole de référence de Mathias Enard est « une petite boussole de métal, en cuivre ou en laiton, qu'on voit dans une vitrine, à côté de sa (celle de Beethoven, ndr) canne », à la Beethovenhaus de Bonn, boussole qui a la particularité de marquer l'est au lieu du nord, comme l'a remarqué l'auteur et son amie Sarah. 

    Et c'est sur l'échange entre l'est et l'ouest, principalement à partir du XIXème siècle et de la grande tendance orientaliste qui a suivi la campagne d'Égypte (1801) de Napoléon qui avait amené dans ses bagages nombres de scientifiques, que le livre d'Enard se penche. Il met en scène un musicologue viennois, Franz Ritter, qui guette dans la musique occidentale, depuis la Marche Turque (1781) de Mozart, l'influence de la musique orientale et vice et versa. Ses nombreux séjours en tant que chercheur dans différentes villes orientales (Islanbul, Téhéran, Alep, Le Caire, Beyrouth, etc...) l'ont mis en contact avec d'autres orientalistes d'autres disciplines, comme Sarah – le grand amour de sa vie, pour l'heure en séjour au Sarawak- dont la thèse portait sur les Visions de l'autre entre Orient et Occident, Faugier, un français libertin, opiomane et spécialiste des bas-fonds, Bilger, un archéologue,  ou G. de Morgan, le directeur de thèse de Sarah, figures les plus en vue d'une série de personnages que l'on croise au long du livre.

    Mais parallèlement, l'auteur nous décrit la vie du Dr Ritter, à Vienne, sa maladie mystérieuse dont s'occupe un effrayant Dr Kraus, maladie qui le voue à l'insomnie. Le livre est aussi une sorte de journal de l'insomnie, les chapitres portant des heures de la nuit de 20h10 à 4h30 – ce qui nous vaut de très bons passages sur la manière qu'ont les insomniaques de négocier, en vain, un impossible retour au sommeil, à l'inexistence, en décidant de ne surtout pas se lever, faire ceci ou cela, car... –   insomnie qui permet au Dr Ritter les ruminations durant lesquelles il se penche sur le sens de sa vie et convoque à son chevet ses amis, et surtout Sarah qui est la grande absente présente.

    Mathias Enard, orientaliste de métier, nous donne un roman d'érudition passionnante dans laquelle on glane des tas de merveilles et il articule les différentes trames de son livre avec suffisamment de brio pour que « ça passe » sans faire trop fabriqué. Chapeau ! Ça donnerait presque envie de lire les prix Goncourt...

    CITATIONS

    « La vie est une symphonie de Malher, elle ne revient jamais en arrière, ne retombe jamais sur ses pieds. Dans ce sentiment du temps qui est la définition de la mélancolie, la conscience de la finitude, pas de refuge, à part l'opium et l'oubli ; la thèse de Sarah peut se lire (…) comme un catalogue des mélancoliques, le plus étrange des catalogues d'aventuriers de la mélancolie, de genres et de pays différents (…) contrainte qu'elle est par la Science et l'université à coller à son sujet, aux Visions de l'autre entre Orient et Occident. Je me demande si ce qu'elle a cherché,  au  cours de sa vie scientifique qui recouvre totalement la sienne, sa quête, n'était pas sa propre guérison – vaincre la bile noire par le voyage, d'abord, puis par le savoir, (…) et sans doute moi aussi, moi aussi, si l'on considère que la musique est le temps raisonné, le temps circonscrit et transformé en sons, si je me débats aujourd'hui dans ces draps, il y a gros à parier que je suis moi aussi atteint de ce Haut Mal que la psychiatrie moderne, dégoûtée de l'art et de la philosophie, appelle dépression structurelle. » p. 50

    « Des tuberculeux et des syphilitiques, voilà l'histoire de l'art en Europe – le public, le social, la tuberculose, ou l'intime, le honteux, la syphilis. Plutôt que dionysiaque ou apollinien, je propose ces deux catégories pour l'art européen. Rimbaud : tuberculeux. Nerval : syphilitique. Van Gogh ? Syphilitique. Gauguin ? Tuberculeux. Rückert ? Syphilitique. Goethe ? Un grand tuberculeux, voyons ! Michel-Ange ? Atrocement tuberculeux. Brahms ? Tuberculeux. Proust ? Syphilitique. (etc.) » p. 253


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