• Anima

    N°338

    Wajdi MouawadAnima

    Leméac 2012, Actes Sud 2012, Babel 2015

    494 pages

    Montréal, un homme, d’origine palestinienne, rentre chez lui et trouve sa femme sauvagement assassinée et violée. Il apprend par la police que l’assassin est un indien Mohawk, réfugié dans une réserve. Il décide de partir à sa recherche, sans esprit de vengeance mais pour « le voir ». Sa quête fera ressurgir son propre passé et les mystères qu’il n’a jamais pu percer.

    Dans la première partie du roman, l’histoire se passe au Canada, entre Montréal et la réserve Mohawk. Elle raconte la poursuite de l’assassin, décrivant le milieu gangréné des réserves, zones où le droit a du mal à s’appliquer, où la violence est quotidienne, sous le contrôle des chefs de clans et des traditions.

    Dans la seconde partie, sa quête du personnage principal s’étend à plusieurs villes des États-Unis dans une sorte de road movie, de fuite en avant à la recherche de son passé, jusqu’en Palestine.

    Dans les deux cas, les situations décrites sont souvent d’une grande violence, et W. Mouawad n’hésite pas à donner de nombreux détails qui peuvent être difficiles à supporter. Comme pour apporter une sorte de filtre, le récit est raconté par des animaux, témoins des diverses scènes, chacun dans son style : chiens, chats, animaux familiers, mais aussi animaux sauvages ou insectes comme des araignées, des mouches ou des moustiques, et qui sont aussi parfois acteurs dans l’histoire. Cet artifice donne un ton tout à fait particulier et fascinant à la narration.

    Il en résulte un texte curieux, très original, correspondant bien aux côtés brillant et « génial » de l’œuvre théâtrale de W. Mouawad, mais également très riche, voire trop riche, comme s’il n’avait pas pu s’empêcher d’accumuler les histoires, les détails et les artifices littéraires, comme s’il avait trop d’idées, trop de choses à dire, et qu’il se faisait déborder par son désir d’écrire.

    .....

    Eléments biographiques :

    AnimaWajdi Mouawad est né en 1968 au Liban. Sa famille quitte le Liban en 1978 à cause de la guerre, pour s’installer en France, puis à Montréal. Il fait du théâtre au lycée, puis intègre l’Ecole nationale de théâtre du Canada et en sort diplômé en 1991. De 1990 à 1999, il codirige la compagnie Théâtre Ô Parleur, puis de 2000 à 2004 il dirige le théâtre de Quat’Sous à Montréal. Ses pièces Littoral (1997) ou encore Incendies (2003) rencontrent du succès et lui apportent reconnaissance. Il travaille ensuite avec des théâtres en France et passe en 2008 au festival d’Avignon avec Seuls. En 2016, il est nommé directeur du théâtre de Colline à Paris. Il a écrit 21 pièces de théâtre et trois romans.

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    Extraits :

    CORVUS CORAX

    Je l’ai vu arriver au bout de l’allée principale du cimetière, marchant en tête du cortège, tout juste derrière le convoi mortuaire. Décalé du reste du groupe, il donnait l’impression de marcher seul, longue silhouette hébétée, comme si, à chaque pas, il allait non pas s’écrouler mais se volatiliser. Je l’épiais depuis la branche de l’arbre où je me suis tenu perché dès les premières lueurs de l’aube, au milieu d’une nuée de corneilles, espèce avec laquelle il est aisé de me confondre. L’arbre ployait sous tant de poids. Nous sommes toujours nombreux à traîner par ici les jours où flotte dans l’air l’odeur âcre d’un cadavre.

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    SERINUS CANARIA

    Ils s’assoient. Elle verse un liquide sombre dans les tasses posées devant eux. Je chante. Je passe d’un trapèze à un trapèze puis du trapèze à la pierre et de la pierre au trapèze. Je chante. Il me regarde. Je chante. Je quitte le trapèze, agrippe mes pattes au grillage, use mon bec contre le métal, me retourne, la tête à l’envers, je chante. Elle se lève, ouvre la fenêtre de ma maison, tend son doigt. Je chante. Je grimpe sur sa main. Elle retourne s’asseoir. Elle me pose sur son épaule. Il me regarde. Je chante. Elle dit :

    - Papa a essayé de t’appeler.

    Je chante Je gratte son oreille. Je chante. Il répond:

    - Je n’arrive pas à lui parler.

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    TEGENARIA DOMESTICA

    Quelle bête est donc cachée à l’intérieur de cet homme ? Il est rentré, il a refermé la porte, les humains se sont retournés pour le dévisager. Il n’était pas d’ici et cela semblait leur suffire.

    Seize tables carrées dans une salle carrée. Un comptoir rectangulaire, longitudinal. Deux écrans aux images colorées et mobiles. Dix-sept hommes assis. Trois femmes assises. Neuf hommes debout. Une femme debout. Une femme allant et venant derrière le comptoir du bar. Des vibrations basses et rythmées condensant l’espace. Personne pour voir ce qu’il y avait à voir.

    Souveraine, je me suis repliée au centre de ma toile et je l’ai scruté. Il a avancé jusqu’à l’extrémité du comptoir devant lequel il s’est arrêté, droit. Les mains dans les poches, tournant le dos aux autres. Il a ouvert la bouche pour émettre des ondes qui sont venues faire vibrer les fils de ma toile.

    - Une bière

    .....

    STRIX VARIA

    Ils ont saccagé les ténèbres et coupé la nuit au couteau de leurs lumières. Ils ont enfoncé leurs pieds dans la terre gorgée de pluie et de neige fondue : hommes, chiens et machines, sortis du néant pour déplacer les ombres des arbres et fendre le silence.

    - OK, guys! Let’s load the truck!

    Ils ont ouvert le ventre des machines. Ils ont commencé à vider ce qui se trouvait dans la panse de l’une pour remplir la panse de l’autre, sous le regard exorbité de leurs chiens.

    Lui, je l’ai reconnu tout de suite. Il est arrivé dans le reflet pâle des lumières, éveillé le jour, éveillé la nuit, les rêves jetés à la flaque noire des insomnies, le sommeil noyé dans l’eau des chagrins.

    - Let’s go, guys! We gotta finish while it’s still dark!


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