• Alors Belka, tu n'aboies plus?

    N°327Alors Belka, tu n'aboies plus?

    Furukawa Hideo

    Beruka hoenainoka ?

    Traduit du japonais par Patrick Honnoré

    2005, Philippe Picquier 2011, Picquier Poche 2015

    460 pages

    Sur une île de l’archipel des Aléoutiennes, entre l’Alaska et la Sibérie, un groupe de chien est abandonné par l’armée japonaise en déroute, en 1942. Quand ils y débarquent, les soldats américains les retrouvent affamés mais vivants. Ces chiens sont les premiers d’une grande lignée de chiens soldats qui seront les témoins de l’histoire jusque dans les années 90.

    Dans Alors Belka, tu n’aboies plus ? H. Furukawa entreprend de raconter l’histoire, de la seconde guerre mondiale à la fin du siècle, à partir des chiens, en se centrant sur le Pacifique, de la Chine et la Russie à Hawaï, en passant par l’Indochine, le Japon, et allant jusqu’en Afghanistan et aux îles Samoa. Ce sont les chiens soldats, les chiens cosmonautes, les chiens de la pègre, tous les chiens qui furent dressés et utilisés à des fins « professionnelles ». Très bien documenté, on apprend d’abord dans ce livre beaucoup de choses sur le rôle méconnu des canidés en particulier pendant les guerres. Le récit est également intéressant dans la mesure où l’histoire n’est pas centrée sur l’Europe et l’Amérique, comme souvent, mais sur l’autre face du monde, donnant par là des éclairages nouveaux pour nous.

    Mais H. Furukawa n’est pas historien, et c’est la folie du monde qu’il décrit plutôt que les faits historiques. Son idée, de mettre les chiens au centre de son récit, comme de véritables acteurs de l’histoire, est très originale et donne d’emblée un côté surréaliste, voire ésotérique. C’est que H. Furukawa est un intellectuel rêveur ; il se réclame de Haruki Murakami et de Gabriel Garcia Marquez, et c’est donc dans les marges de la réalité qu’il emmène son récit.

    Comme dans Ô chevaux, la lumière est pourtant innocente (une semaine un livre n°276), le fait de donner la voix à un animal est une approche en même temps poétique et concrète (car ces animaux ont réellement joué des rôles importants). Et puis, H. Furukawa a un style libre, il touche à tous les genres, n’hésite pas à passer de considérations politiques sérieuses aux réflexions canines sur la marche du monde. Ce livre est une lecture prenante, étonnante, voire désopilante.

    .....

    Eléments biographiques :

    Alors Belka, tu n'aboies plus?Hideo Furukawa est né en 1966 à Kôriyama dans la préfecture de Fukushima. Passionné très jeune par le théâtre, il quitte sa ville natale à 18 ans pour aller étudier à Tokyo. Il entre en littérature à l’université de Waseda mais quitte vite les études pour travailler dans une maison d’édition. Depuis 1994, il se consacre à l’écriture. Il a écrit une trentaine de livres, pièces de théâtre et romans, dont quatre ont été traduits en français par Patrick Honnoré et publié aux éditions Philippe Picquier.

    Extraits :

    En février 1950, Mao Zedong et Staline signèrent le traité sino-soviétique d'assistance et d’amitié mutuelle.

    La guerre de Corée éclata quatre mois plus tard. Encore quatre mois et la Chine intervenait en Corée. En réalité, le bras de fer dans le secteur occidental de l'océan Pacifique n'avait jamais cessé, depuis cinq ans que la seconde guerre mondiale est terminée. C'était ici que se matérialisait l'antagonisme entre les États-Unis et l'Union soviétique. C'est à cette époque que le président Harry Truman déclara : « Nous lutterons par la force contre la menace communiste. » Truman haïssait Staline. Staline haïssait Truman. Il n'est pas impossible que tout le reste ne fût que joujoux entre leurs mains pour régler leur inimitié personnelle.

    Le Pacifique.

    L'histoire.

    Les chiens.

    Oui, même les chiens.

    Parce que nos dix-sept chiens ne s'imaginent pas à quel point ils sont le jouet des hommes. Dans cette péninsule de Corée qui sert de théâtre à la guerre par procuration que se livrent l'Est et l'Ouest, malgré l'imbrication des destins humains et animaux, les chiens ne se rendent compte de rien. C'est juste l'âge de la guerre. C'est le XXe siècle, le siècle du chien soldat.

    .....

    1962. Pardon je veux dire l'an 5 de l'ère du Chien. J'ai encore trop tendance à raconter mon histoire selon un parti pris humain. Hé, les chiens ! Ô chiens ! Où êtes-vous ? Toi par exemple, Anubis, qui sembles le plus près du défi de l'ère du Chien, où es-tu ?

    Tu t'approches.

    Anubis, tu bandes encore. Tu es un vieux chien maintenant, tu as presque dix ans, mais ton appétit sexuel ne faiblit pas. J'ai un destin à accomplir, aboies-tu. Et sans relâche, tu suis suit une piste. Celle de la femelle magnifique, la chienne au sang formidable. Tu as reçu son odeur au bout de ta truffe. Et c'est pour cela que tu continues à faire confiance, ô Anubis, à cette pulsion en toi qui te pousse à descendre vers le sud. Plus exactement à la suggestion de cette pulsion. A son écho. Cet été-là, tu as senti Son regard venant de la voûte bleue. En l'an 3 de l'ère du Chien. A ce moment-là, tu as compris. Je suivrai Ce regard.

    Tu as compris que là se trouve l’évolution, pour l'espèce canine.

    Wouff, as-tu aboyé.

    Je créerai une lignée de chiens formidables. Et depuis que tu as pris cette décision, tu ne débandes pas.

    .....

    Cette troisième médaille, tu ne la recevras pas. Un mois après ton départ, le 11 Novembre 1975, tu as faim. La pirogue avait dérivé. Elle errait sur les flots immenses. Une fois, ils essayèrent de te tuer pour se nourrir. Tu manques devenir viande de chien. Heureusement, tu n'avais pas de maître. Pas de nouveau maître. Tous ceux qui t'entouraient n’étaient que des crétins. Pour quelle raison devrais-je vous obéir ? Telle fut ta réponse, et tu répliquas. Tu les repoussas après avoir planté tes crocs dans le biceps de l’un et arraché une main à chacun des deux autres. Ton expérience militaire fit merveille. Les mains arrachées, tu les mangeas. Tu en suças les os. Tu avais faim depuis la deuxième semaine de navigation.


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